Droit civil
La révision des conventions
« Contracter c’est prévoir. Tout contrat est un pari sur l’avenir ». Cette formule de Georges Ripert résume assez bien la position qui fut celle de la doctrine classique pendant longtemps. Si l’on excepte l’hypothèse des contrats instantanés, le contrat apparaît comme un instrument de prévision qui requiert lors de sa négociation et de la rédactionéventuelle de l’instrumentum une capacité à se projeter dans un avenir plus ou moins lointain.
Malgré tout, les prévisions des parties peuvent être prises en défaut, soit que le contrat s’étale sur une durée exceptionnelle, soit qu’il s’inscrive dans des rapports inégaux, soit enfin que ses conditions d’exécution soient bouleversées par des événements imprévus (guerre, crises économiques,catastrophes naturelles). Dans quelle mesure permettra-t-on à celui des contractants qui pâtira de ces circonstances de demander la révision de la convention ? Cette question de la révision des conventions – actes juridiques bilatéraux pouvant créer mais aussi modifier ou éteindre des obligations (art.20 du RGO Mali) – est apparemment enfermée dans un dilemme. En effet, la sécurité des affaires postule apriori la stabilité des contrats afin d’assurer la confiance des contractants ; cette sécurité entre toutefois en conflit avec les exigences de l’équité, voire de la simple justice commutative, dès lors que le rapport de forces entre contractants se trouve déséquilibré.
Pour sortir de ce dilemme, le droit civil français a longtemps campé dans une position qui réduisait strictement les possibilitésde révision judiciaire des conventions : l’article 1134 du Code civil liait non seulement les parties mais aussi le juge, et quand bien même la loi contractuelle était une loi d’airain, il n’était pas loisible au juge d’intervenir. Seules les parties, ou le législateur, pouvaient prévoir des mécanismes de révision des conventions. Cette position française était relativement isolée, ne serait-ceque si l’on considère les possibilités de révision pour imprévision admises par voie jurisprudentielle, aussi bien en Allemagne qu’en Angleterre. Cependant, l’évolution contemporaine du droit civil français témoigne d’un effacement progressif de la méfiance à l’égard du juge, léguée par la Révolution française. Or, ce contexte d’émancipation du juge favorise les possibilités de révision desconventions. Aussi convient-il de prendre la mesure de cette évolution, en mettant en rapport les conditions traditionnellement restrictives de la révision des conventions (I) et les conditions contemporaines élargies de cette même révision (II).
I – Les conditions traditionnellement restrictives de la révision des conventions
La rigueur traditionnelle de l’intangibilité des conventions (A) étaitatténuée par certains mécanismes correcteurs (B) instillant une dose de souplesse dans l’ordre contractuel.
A – La rigueur traditionnelle de l’intangibilité des conventions
La jurisprudence civile française a tôt fait de rejeter le principe d’une révision judiciaire des conventions (1), n’admettant que certaines adaptations ponctuelles (2) dans des cas nettement circonscrits.
1/ Le rejet deprincipe d’une révision judiciaire des conventions
Dans la célèbre et exemplaire affaire du Canal de Craponne, la Cour de cassation s’est opposée au relèvement d’une redevance fixée par contrat au XVIème siècle, quoique cette somme fût devenue notoirement insuffisante au XIXème siècle : selon la formule de l’arrêt, « aucune considération de temps ou d’équité ne peut autoriser le juge à modifier lesconventions » (Civ. 6 mars 1876). La formule est majestueuse, faisant de l’article 1134 du Code civil une règle de discipline pour le juge comme pour les parties. En effet, le refus d’exécuter le contrat ne pouvait se réclamer ni de la force majeure –l’exécution était plus onéreuse mais pas impossible – ni de la lésion, puisque le déséquilibre était survenu en cours d’exécution et non lors de…