La monnaie internationale dans la pensée économique
Alfredo Suárez Faculté d’Economie et de Gestion Université de Picardie Jules Verne – Amiens Chercheur du Centre de Recherche sur les Institutions, l’Industrie et les Systèmes Economiques d’Amiens – CRIISEA
La naissance de l’union économique et monétaire (UEM) est décisive pour la configuration future du système monétaire international (SMI).La disparition concertée d’un grand nombre de monnaies européennes et la création d’une monnaie commune et unique sont des faits historiques sans précédent. Les différentes fonctions que l’euro assume à travers la substitution des anciennes monnaies nationales lui confèrent automatiquement un poids décisif dans le jeu monétaire international, et il devient de facto une monnaie concurrente dudollar. Un grand espace économique s’est ainsi doté d’une nouvelle monnaie, émise par une nouvelle banque centrale responsable de la politique monétaire unique de l’UEM, et dont les décisions dépassent le cadre monétaire européen et atteignent la coordination financière internationale. Les tensions que la naissance de l’euro entraînera à terme avec les Etats-Unis posent la question de lareconfiguration du SMI et du jeu complexe de rivalité et de coopération politiques. La monnaie unique est un projet politique qui symbolise l’expression monétaire d’une entité politique, l’Union européenne. Evoquer son caractère politique renvoie au choix de société que l’Europe s’est engagée à édifier et, par extension, à sa vision du système international à devenir. A ce titre, la question centrale est celledu système régulateur des relations internationales. La création de la monnaie unique européenne réactualise le débat sur le contenu de la monnaie internationale, ses qualités pour réguler efficacement le SMI, et les relations entre les trois principales monnaies (dollar, euro, yen). L’analyse de ces questions requiert une démarche historique et théorique car les relations monétairesinternationales sont difficilement intelligibles dans le cadre étroit d’une théorie formelle et à caractère général. Cette mise en perspective historique met en évidence, d’une part, que les enjeux théoriques et politiques du débat reprennent les controverses engagées au XIXème siècle par les pères fondateurs de l’économie politique, même si ces enjeux sont bien évidemment différents. D’autre part, ellepermet de considérer la validité actuelle de la vision de Keynes concernant les réformes nécessaires du système financier international.
Alfredo Suarez – Université de Picardie Jules Verne – Faculté d’Economie et de Gestion 10, placette Lafleur – BP 2716 – 80027 Amiens Cedex – (e-mail : [email protected])
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Le débat sur la notion de monnaie internationale au XIXème siècle : un rappelLa controverse entre les premiers auteurs classiques concernant la monnaie internationale était centrée sur la distinction entre monnaie et crédit. Ce débat engagé dans les années 1840 par la Currency School et de la Banking School est bien connu. Rappelons brièvement que pour Ricardo, conformément à la théorie de la valeur-travail, l’or et l’argent ont comme toute autre marchandise une valeurdéterminée par le temps de travail nécessaire à leur production. La productivité des mines détermine donc leur valeur, et les quantités produites sont indépendantes des conditions économiques et du niveau des échanges. Ricardo introduit les échanges internationaux dans le cadre d’un système de libre convertibilité. La dévalorisation de la monnaie métallique, suite à une offre de monnaie tropabondante par rapport à la circulation des marchandises, entraîne sa sortie du pays car son pouvoir d’achat est supérieur à l’étranger. Comme corollaire, les prix nationaux baissent et augmentent à l’extérieur entraînant le rééquilibrage et la répartition mondiale de l’or en fonction des besoins de la circulation des marchandises. Bien entendu, Ricardo intègre dans son raisonnement la monnaie…