« Etre méchant ce n’est pas seulement faire le mal, c’est le vouloir ; ce n’est pas seulement le vouloir, c’est le vouloir en toute connaissance de cause. » A. Comte-Sponville, Le goût de vivre et cent autres propos.
Le mal est à la portée de n’importe qui : de l’enfant qui tire la queue du chat malgré les remontrances de ses parents à Monsieur Tout-le-Monde qui martyrise ses enfants. Pourautant la méchanceté est une qualification qui ne doit pas tromper du fait de son usage courant, voire stéréotypé. Elle représente le dernier degré dans l’approfondissement de la conscience dans le mal. C’est du moins ainsi que l’entend André Comte-Sponville, dans Le goût de vivre et cent autres propos, lorsqu’il propose sa propre définition de la méchanceté : « être méchant ce n’est pas seulementfaire le mal, c’est le vouloir ; ce n’est pas seulement le vouloir, c’est le vouloir en toute connaissance de cause. » La gradation qui structure cette définition indique implicitement des degrés dans le mal. De fait si le mal est un enfer, il obéit à la même topographie en cercles concentriques que celui de Dante dans sa Divine comédie : à la périphérie on trouve ceux qui font le mal sans levouloir, dans le premier cercle sont réunis les hommes mauvais qui font le mal volontairement ; dans le dernier, proches du diable, les méchants sont ceux qui font le mal en toute lucidité, avec une intention elle-même mauvaise. On voit donc que si l’on peut faire le mal sans être pour autant méchant, c’est que la méchanceté tient moins au contenu de l’acte qu’à l’orientation de la volonté. Si l’onadmettra avec l’auteur qu’il existe une conscience dans le mal, qui est aussi une intelligence du mal, pour autant le méchant est-il privé de conscience morale? Bien plus, là où le méchant apparaît à première vue comme un être supérieur du fait même de sa méchanceté, n’est-il pas en réalité soumis à une puissance dévorante ? C’est pourquoi on verra d’abord en quoi la méchanceté n’est pas unequestion de nature mais de degré, puis que la connaissance du mal est aussi reconnaissance du bien et enfin que le mal est moins objet de connaissance que d’aliénation dans laquelle l’homme perd son visage.
Quel est l’écart, voire l’abîme, qui sépare la mauvaise action de la méchanceté? La question mérite d’autant plus d’être posée que la plupart des hommes ne cherchent pas délibérément à faire lemal. Dès lors, il faut considérer que la méchanceté n’est pas une question de nature mais de degré où varient la volonté et la conscience dans le mal.
En effet, dans la plupart des cas, le mal ne résulterait que d’une ignorance du bien au profit de ce qui apparaît comme une satisfaction personnelle. Ainsi, on admet, dans bien des circonstances, que celui qui a mal agi ne pensait pas à mal ouqu’il s’est montré « plus bête que méchant ». C’est la raison pour laquelle Socrate estime que « nul n’est méchant de son plein gré. » Il affirme ainsi que la volonté ne saurait vouloir le mal, mais qu’ignorante du bien, elle est seulement mal orientée. Le problème est que Socrate universalise une thèse qui ne s’applique sans doute pas à universellement, il en fera d’ailleurs l’expérience avecCalliclès dans Gorgias. Cependant, la méconnaissance du bien ou l’impuissance à faire le bien représente en général l’horizon des existences ordinaires. On peut même aller jusqu’à admettre que, si elle est moralement inacceptable, une part de malveillance est socialement tolérée, car le mal « ordinaire » constitue la trame même des rapports humains faits de rivalités et de conflits d’intérêts, maisaussi de conformisme aux opinions et aux préjugés. C’est ce que semble confirmer le vicaire savoyard méditant « sur le triste sort des mortels flottant sur cette mer des opinions humaines, sans gouvernail, sans boussole, et livrés à leurs passions orageuses. » (PFVS 53) Ainsi, dès les premières pages des Ames fortes, la conversation, qui roule sur les turpitudes conjugales et familiales, dresse…