le Mal entre Dieu et l’Homme dans La Profession de Foi du Vicaire Savoyard de Jean Jacques Rousseau
Par Lahoucine El Merabet*
Sujet de la réflexion :
D’après Rousseau : « « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. » Livre I de L’Emile ou de L’éducation.
-Vous réagirez à cetteassertion à l’aune de la lecture que vous avez faite de La Profession de foi du Vicaire savoyard de J.J.Rousseau.
Plan :
I- L’homme : de l’état de nature à l’état social
II- La théodicée de Jean Jacques Rousseau
III- La morale ou la thérapie du mal
Dans son célèbre traité sur les Passions de l’âme(1649), Descartes émet cette assertion significative en relation étroite avec les penchantshumains : « C’est d’elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie ».Parlant des passions, le philosophe pointe la grandeur et la misère de l’homme, ainsi que la double postulation (Ch.Baudelaire) de la destinée humaine, qui nécessite une réflexion et une investigation de nature à éclairer le problème et la genèse de ce par quoi le devenir humain dégénère. A cet égard, le point de vuede Jean Jacques Rousseau se distingue de la pensée traditionnelle en choisissant comme point de départ cette constatation : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. » C’est le problème du mal qui est ainsi formulé dans le livre I d’Emile ou de l’éducation. S’il y a du mal dans le monde (« je vois le mal sur la terre »dit Rousseau), Dieun’en est pas responsable. Mieux, lui-même et son œuvre sont sans aucun rapport avec le mal. Nous verrons dans ce qui suit en quoi consiste le mode d’articulation entre Dieu, l’homme et le mal. Afin d’élucider ce point problématique, nous interrogerons La Profession de Foi du Vicaire Savoyard où Rousseau déploie d’une façon systématique sa vision morale. L’accent sera initialement mis sur lebasculement de l’homme de l’ordre de nature à l’ordre social ; ensuite seront éclairées les grandes lignes de la théodicée rousseauiste qui diffère des théodicées traditionnelles ; finalement sera mise en valeur la morale comme assise au moyen de laquelle le mal pourrait être neutralisé.
Il importe de signaler que pour Jean Jacques Rousseau, tout se situe dans le passage de l’état de nature àl’état social où la culture et la prépondérance de l’altérité impliquent et entraînent une descente dans le mal.
En effet, la rupture essentielle réside dans la dimension historique que l’homme acquiert en passant d’un état à un autre : l’homme tombe dans l’historicité ; c’est cette chute dans l’histoire, nécessaire de facto, qui est porteuse de la dégénérescence fatale : l’essence même dutemps est corruption. C’est aussi cette chute qui est à l’origine de la venue du mal au monde. Rousseau appréhende ce changement d’ordre comme une culpabilité et un obscurcissement. On en comprend que dans le cours du temps, l’homme se défigure et se déprave. Une fois engagé dans la durée, il est sujet à la dégradation et soumis à la loi de la dénaturation. C’est dire qu’il s’agit d’un désordreinduit par le temps et revêtant l’aspect métaphysique et moral et entraînant un mal essentiellement imputable à l’homme : « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal, cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres et l’un et l’autre te viennent de toi ». C’est par ce constat plus direct et incisif que le Vicaire Savoyard fait état du mal que l’hommese doit d’assumer.
En outre, le mal renvoie pour Rousseau à la contradiction de la nature et de la culture, c’est-à-dire à ce conflit inévitable dont parle Kant dans Conjectures sur le commencement de l’histoire humaine « de la culture avec la nature du genre humain comme espèce physique au sein de laquelle tout individu devrait atteindre pleinement sa destination.» Ainsi, le…