Résumé de « Les trois approches en anthropologie du développement »
Une grande confusion règne autour de l’anthropologie du développement, si on considère tant l’abondante littérature anglophone que la littérature francophone de ces dix dernières années ; on peut y voir plus clair si on distingue trois grandes approches. L’une porte sur la déconstruction du « discours du développement », souventréduit de façon caricaturale à un seul modèle, hégémonique et maléfique. La seconde approche est de type « populiste » : à un populisme « idéologique », qui exalte systématiquement les savoirs et les pratiques populaires se mêle parfois un populisme « méthodologique », qui entend explorer les ressources cognitives et pragmatiques des acteurs, aussi apparemment démunis soient-ils. La troisièmeapproche, ici défendue, s’intéresse à « l’enchevêtrement des logiques sociales », et à l’hétérogénéité des acteurs qui se confrontent autour des opérations de développement. Elle recouvre deux courants indépendants, l’un, anglophone, autour de Norman Long, l’autre, francophone autour de l’APAD. Non seulement il s’agit de refuser les visions normatives et idéologiques du développement (dans un sens oul’autre), au profit d’enquêtes empiriques, mais encore va-t-on souvent au-delà de la sphère du développement institutionnel, pour prendre en compte son articulation avec d’autres phénomènes, tels que les modes locaux de gouvernance, le pluralisme juridique, l’Etat au quotidien, les réseaux sociaux, les normes professionnelles, les dysfonctionnements des services publics, l’économie informelle,etc….
J.P. Olivier de Sardan1
Les trois approches en anthropologie du développement
En matière d’anthropologie du développement contemporaine, et si l’on considère non seulement la littérature francophone mais surtout la littérature anglophone, particulièrement abondante, une assez grande confusion semble régner au premier abord, dans la mesure où coexistent sous ce même label desouvrages et des articles dont les postures et les orientations diffèrent en fait profondément. Nous voudrions proposer ici une certaine forme de mise en ordre, qui fournisse des repères fiables2. Ceci implique tout d’abord une clarification préalable sur notre propre posture, et quelques indications sur « le lieu d’où nous parlons ». Nous sommes désormais nombreux à avoir développé depuis une quinzained’années une approche spécifique des phénomènes sociaux complexes liés aux actions de développement, approche qui se veut non normative, fondée sur une socio-anthropologie résolument « empirique » (non spéculative et basée sur l’enquête) et « fondamentale » (en amont de l’anthropologie « appliquée »). Il s’agit de proposer un point de vue sur le développement qui réintègre le développement commeun objet digne d’attention pour l’anthropologie académique, et qui explore minutieusement les interactions de toutes natures intervenant dans le monde du développement, mettant en jeu représentations et pratiques, stratégies et structures, acteurs et contextes 3. Un tel projet entend donc rompre avec les apologies comme avec les dénonciations, il refuse les prophéties comme les caricatures. Eneffet, une caractéristique de la littérature sur le développement, tant du côté anglophone que francophone, est d’être très imprégnée de jugements normatifs, relevant d’idéologies, ou de méta-idéologies fort variées. On y émet sans cesse des jugements de valeur sur le développement. Les anthropologues n’y échappent pas, bien qu’ils soient souvent plus prompts à dénoncer les idéologies des autres (enparticulier celles qui ont cours chez les professionnels du développement) qu’à repérer celles qui sévissent chez eux (comme le populisme, le post-modernisme et le « politiquement correct »). Notre conception de l’anthropologie est au contraire celle d’une science sociale empirique, ni positiviste comme le sont les sciences naturelles classiques (les sciences sociales ne relèvent pas de la…