Le pouvoir des mots est une intervention théorique, polémique, politique. Mais c’est aussi un récit, le récit le plus intime qui puisse être, celui de notre venue à l’être dans le langage. De tefabula narratur. Nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons été constitués comme sujets dans le langage et par le langage. Nous n’avions rien demandé. D’ailleurs, « nous » n’étions pas avantcette scène primitive, celle de notre interpellation par l’Autre dans le langage. Une vieille histoire. Répétée, continuée, recommencée pour chacun d’entre nous, à tout moment de nos vies. Nous avons éténommés, désignés, identifiés, dès avant notre naissance – et très vite aussi, nous avons été insultés, injuriés, blessés par des mots. Que faire?? Comment faire avec les mots que nous n’avons paschoisis, qui nous constituent et dont nous usons, les mots dont on use pour s’adresser à nous, les mots qui parfois, souvent, nous heurtent?? C’est à cette question que Judith Butler s’efforce d’apporterdes éléments de réponse.
Le chapitre 3 revient sur l’analyse de la règlementation de l’armée américaine qui interdit aux homosexuels de se déclarer tels. Rappelant la spécificité du discoursjuridique, J. Butler souligne ici encore que ce n’est pas le moindre paradoxe de cette règlementation que de faire proliférer le terme même d’homosexuel dans le discours d’État au lieu de sa prohibition.C’est surtout l’occasion pour l’auteur, qui s’appuie ici sur Sigmund Freud et singulièrement sur Totem et tabou, d’interroger une nouvelle fois l’effacement de la distinction entre discours et pratique : sil’armée américaine fait du discours homosexuel une conduite homosexuelle, c’est en vertu d’une forme de performativité qui doit être distinguée de celle que revendique le mouvement gay, lesbien ouqueer à travers le « coming out » ou « l’acting out », et par laquelle « la pratique discursive de l’homosexualité est indissociable de l’homosexualité elle-même ». C’est ce que tentent d’établir…