Le temps de la fin : l’absence de repères
Comme l’espace, le temps est marqué par l’indétermination. La « lumière grisâtre » des premières
didascalies (p. 11) dit mal à quel moment de la journée onse trouve. Quelques indications disséminées
au fil de la pièce dénotent que cette « fin de partie » a sans doute plutôt lieu en fin d’après-midi : Clov
dit observer sur le mur de sa cuisine « lalumière qui meurt » (p. 24) et Hamm s’étonne de la réponse
négative de Clov à qui il a demandé s’il voyait le soleil par la fenêtre : « Il devrait être en train de se
coucher pourtant » (p. 46).
Lesquestions récurrentes de Hamm – « Quelle heure est-il ? » (p. 16), « On est quel mois ? » (p. 86)
– font penser aux pertes de mémoire de la sénilité. Mais à la première, Clov répond « Zéro » – aucunrepère de la vie maîtrisée des hommes n’est désormais plus possible – et Hamm ne prend même pas
le temps d’attendre une réponse pour la seconde : l’entrée dans la fin de vie, c’est à la fois unsavoir :
la fin DOIT arriver ; et une ignorance terrible : à quel moment le trépas ?
L’indétermination temporelle permet donc de mettre en scène l’indétermination ontologique : l’énigme
fondamentaleque représente pour l’homme sa propre mort et la conscience qu’il en peut avoir. Placé
devant cette indétermination, Hamm oscille entre l’angoisse du dernier moment, et l’attente impatiente
etfascinée : « il est temps que cela finisse et cependant j’hésite encore à (…) finir » (p. 15). Cette
obsession angoissante de l’échéance est rendue par le leitmotiv des questions de Hamm : « Mais
qu’est-cequi se passe ? qu’est-ce qui se passe ? » (p. 26, puis p. 47) auxquelles Clov répond, impavide :
« Quelque chose suit son cours ». Le mot « chose » est choisi pour désigner l’irreprésentable :attente
de la mort, fin de vie, vie et néant, néant qui commence avec la vie, source même de cette incertitude
dévorante : « vous êtes sur terre, c’est sans remède ! (…) La fin est dans le commencement…