Le temps du voyage de noces
Venayre Sylvain, Le temps du voyage de noces, in L’Histoire, n° 321, pp.56-61.
Résumé de l’article:
Bien que le mariage soit devenu aujourd’hui une coutume profondément bouleversée, au vu du taux de divorce incroyablement élevé de ces dernières années, le voyage de noces reste une tradition immuable pour les jeunes mariés. La famille et les amis sont invités àcotiser pour offrir ce beau voyage au jeune couple.
Et pourtant l’idée de s’éloigner de la famille et du pays de résidence pour permettre à deux personnes de cheminer ensemble tout au long de leur vie est une invention relativement récente datant de la Restauration.
En effet, il arrivait au XVIIIe siècle que les jeunes aristocrates récemment unis partent en voyage, mais cette façon de fairen’était appliquée qu’aux personnes de la haute société et c’était principalement pour rendre visite à la belle-famille et surtout, elle servait à pouvoir jauger les richesses desquelles l’on aurait bientôt à s’occuper, montrant par là le fait que l’union conjugale était aussi une union familiale.
Mais c’est dans les années 1820 que se met en place ce que l’on peut, aujourd’hui, qualifier de « voyage denoces ». Mais cette nouvelle pratique n’a pas encore de nom et n’est pas encore très répandue.
C’est à partir des années 1870 que s’impose la dénomination de « voyage de noces », elle recouvrira d’ailleurs un peu celle de « lune de miel » qui n’avait pourtant pas la même signification à l’époque : elle ne représentait que la saison qui ne peut durer qu’une nuit, et qui précède celle durantlaquelle les époux deviennent absolument indifférents l’un de l’autre.
C’est lors de la Belle Époque que commence vraiment le voyage de noces.
Guy de Maupassant en témoigne dans premier roman, Une vie, écrit en 1883. Une large place du roman raconte le voyage de noces de Jeanne l’héroïne. On le trouve aussi raconter dans certains récits autobiographiques de l’époque, dont celui de Mme GeorgesDuhamel, Mon voyage de noces en Italie, qui parait en 1898.
Mais cette nouvelle habitude est encore peu codifiée, les auteurs de guides de savoir-vivre restent impuissants à dire l’exacte conduite à tenir. Comme par exemple, quand faut-il partir ? Directement après la cérémonie, ou bien attendre un peu ?
Tous ces doutes montrent au fond que cela n’a que peu d’importance. Cela traduit la difficulté àadapter de nouvelles pratiques sociales à un ensemble de rites anciens. La liberté est donc laissée aux jeunes mariés quant à l’organisation de leur escapade. Ceci n’est qu’une illustration supplémentaire de l’indépendance acquise par le couple, au détriment de la famille. Oui, car le fait social qu’est le voyage de noces entre en résonance avec le processus d’autonomisation du couple au XIXesiècle. Le voyage de noces est en faite l’expression du désir de tenir à l’écart la famille de ce moment fondateur qu’est la nuit de noces. Le voyage marque aussi l’abolition du vouvoiement des mariés en public, c’est seulement à partir de ce moment qu’ils peuvent se tutoyer. Cela manifeste une sorte d’intimité nouvelle notamment due aussi au fait que c’est lors du voyage de noces que les épouxdécouvrent le corps de leur conjoint. Et aussi, au moins dans le cas de la femme, l’occasion du premier rapport sexuel.
C’est d’ailleurs ce qui fonde l’hostilité des guides de savoir-vivre jusqu’aux années 1870. On ne comprend pas pourquoi l’on doit partir s’enfermer à des kilomètres de chez-soi uniquement dans le but de rester enfermé dans une chambre pour découvrir le plaisir sexuel. Surtout qu’àl’époque les médecins pensent que pour la femme, l’abandon à la jouissance a des effets néfastes sur la santé. Et en plus, cela parait indécent d’exhiber à tout le monde le moment de cette initiation.
En 1876 les hôtels commencent alors à s’équiper de chambres spécialement réservées aux jeunes mariés. Cette pratique est alors considérée par certains comme de la publicité de l’amour charnel.
A…