Leibniz et l’inconscient

Leibniz, Nouveaux-Essais, Préface, pp.41-42, Les petites perceptions.

« D’ailleurs il y a des marques qui nous font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sansaperception et réflexion, ie, des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu’ellesn’ont rien d’assez distinguant à part, mais, jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. C’est ainsi que la coutume faitque nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, etqu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme et du corps; mais les impressions qui qui sont dans l’âme et le corps, destituées des attraits de lanouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, qui ne s’attache qu’à des objets plus occupants. Toute attention demande de la mémoire, et quand nous ne sommes pointavertis pour ainsi dire de prendre garde à quelques unes de nos perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans les remarquer. Mais si quelqu’un nous en avertit (…) et nousfait remarquer par exemple quelque bruit qu’on vient d’entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d’en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi, c’étaient des perceptions dont nous nenous étions pas aperçus incontinent, l’aperception ne venant dans ce cas d’avertissement qu’après quelque intervalle, pour petit qu’il soit. Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous nesaurions distinguer dans la foule, j’ai coutume de me servir de l’exemple du (…) bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l’on fait, il faut bien…