Luttes sociales sous l’ancien régime

1948-02 Grèves et luttes sociales sous l’Ancien Régime [Soudeille]Chapitre 3 extrait de Jean-Jacques [Soudeille] / Luttes sociales et grèves sous l’Ancien Régime – Vie et mort des corporations (Spartacus, février 1948). Première mise en ligne sur le site Ensemble.

FRÉQUENCE DES CONFLITS CORPORATIFS
Au contraire de ce que la lecture des manuels d’histoire et les affirmations intéressées desadmirateurs du « bon vieux temps » peuvent laisser croire, les conflits corporatifs ont existé ,partout où le travail, sous uune forme quelconque, fut exploité (1), Les jacqueries des campagnes étaient-elles autre chose que des rrévoltes de paysans exploités contre leur exploiteur féodal ? Et parmi les compagnons des corporations, plus tard parmi les ouvriers des manufactures, les mouvements derevendication, les « trics », furent innombrables (2).A toutes les époques, les coalitions d’ouvriers furent sévèrement réprimées. Les Coutumes de Beauvaisis de Ph. de Beaumanoir (1280), considéraient déjà les coalitions comme un délit. On punissait d’amende et de prison ceux qui y recouraient : « Et tenir en longe prison et drestroite, et quand ils ont eu longue peine de prison, on pot lever decascunne personne soixante sous d’amende. » Une ordonnance du bailly de Rouen, en 1285, interdisait aux ouvriers de s’assembler, comme ils avaient coutume de lefaire 50 ans auparavant, sur 1a place Damiette, parce que ses assemblées prenaient le caractère de coalitions.En 1729, les tisserands de Douai se mutinèrent et mirent à mort quelques échevins. Le comte de Flandre vint rétablir l’ordre etplusieurs mutins furent pendus. En 1280, les ouvriers d’Ypres s’insurgèrent contre une augmentation de la journée de travail et tuèrent le maire. La même année, les drapiers de Provins prirent les armes pour la même raison et massacrèrent aussi leur bourgmestre.Du XIV° au XVI° siècle, les conflits furent nombreux. On note des émeutes ou grèves provoquées par la question des salaires ou desrevendications corporatives à Provins (1324), Châlons-sur-marne (1369), Troyes (1372), Sens (1383), Bourges (1466), Beauvais (1554), Paris (1545), etc (3). Et l’histoire ne nous a sans doute gardé la trace que d’une infime partie de ces mouvements.Les compagnons boulangers de Paris passaient au XVI° siècle pour se mettre souvent en grève. Ils refusaient de s’engager pour un mois comme le leur prescrivaient lesrèglements de la corporation, préférant travailler à la journée. Leur confrérie mettait les patrons à l’index et réclamait desaugmentations de salaire. Ils se promenaient par la ville armés de dagues et de bâtons et molestaient patrons et non grévistes. Les patrons obtinrent en 1579 une ordonnance du roi réprimant sévèrement ces pratiques (4 ). Deux siècles plus tard, la situation ne s’était sansdoute pas améliorée dans ce métier puisque des lettres patentes de Louis XV faisaient défense aux compagnons boulangers de porter des armes à feu, épées ou bâtons (5).Les compagnons prenaient de plus en plus l’habitude de l’« action directe ». ils essayaient par l’intimidation de faire inscrire à leurs confréries et participer à leurs coalitions leurs camarades de travail.En cas de tric, ils leurinterdisaient l’accès des boutiques ou ateliers. Une sentence de 1601 condamnait à la prison quatre compagnons cordonniers parisiens pour des faits qui sont baptisés aujourd’hui «entrave à la liberté du travail ».L’interdiction des trics et du port des armes existait dans de nombreux statuts, par exemple chez les imprimeurs de Paris (1649).Au XVII° siècle, les sociétés compagnonniques, bien queplus sévèrement interdites que jamais, se multipliaient, parce qu’à l’intérieur des corporations, la division s’accentuaient entre maîtres et compagnons.L’atténuation des règles concernant l’embauchage des forains, consécutive au progrès qui créait de plus en plus une économie nationale, avait permis l’émigration des ouvriers à travers le pays. Les sociétés compagnonniques avait pris un grand…