1.3) LA NATURE DE L’HOMME
Si l’ordre est la règle dans l’univers, il y a cependant une exception à cette règle. Rousseau écrit :
« Le tableau de la nature ne m’offrait qu’harmonie et proportions, celui du genre humain ne m’offre que confusion, désordre ! Le concert règne entre les éléments, et les hommes sont dans le chaos ! »[1]
Notre monde n’est que désordre et confusion, les faibleset les démunis sont exploités sans limite. Les hommes recherchent le succès individuel et ils ignorent la vertu. Il faut expliquer cette différence. Pourquoi l’homme vit-il dans le désordre ? Le désordre est le résultat de la double nature de l’homme. La nature parle à notre âme et à notre corps.
Pour expliquer la nature humaine, Rousseau reprend sur le plan de l’individu, la dialectique de lamatière et du mouvement. L’homme ne peut être que matière, car la matière ne peut pas se mouvoir d’elle-même. Il doit donc exister en l’homme un principe autre qui anime sa chair. Cette double nature de l’homme entraîne une tension vers deux centres d’intérêt divergents, le « beau moral »[2] et « l’empire des sens »[3].
Pour Rousseau, l’homme est un être multiple. Il y a en nous des notions dejustice innées et les désirs corporels. Il ne peut y avoir la satisfaction des tendances du corps et de l’âme, car ces tendances sont contradictoires, Rousseau écrit :
« […] si se préférer à tout est un penchant naturel à l’homme, et si pourtant le premier sentiment de la justice est inné dans le cœur humain, que celui qui fait de l’homme une substance simple lève ces contradictions, et je nereconnais plus qu’une substance. »[4]
Le corps nous entraîne dans la concupiscence et le plaisir des sens, alors que l’âme nous ouvre le chemin de la vertu morale. Nous sommes mus par des principes divergeants. Est-il possible que notre nature soit inconséquente ?
En réalité, cette opposition interne ne signifie pas que notre nature soit contradictoire. La vertu et le vice ne concerne pas l’hommedu même point de vue. Elles ne procèdent pas du même principe. La vertu s’attache à l’âme, le vice s’attache au corps. Le seul moyen de lever ces contradictions chez l’homme est d’admettre autant de substances que l’on peut dénombrer de contradictions. Différentes substances sont nécessaires, l’une pour l’animation de notre corps, l’autre pour expliquer les passions et les vices. L’idée desdiverses substances est de trouver un principe immatériel, en l’homme, et qui serait la cause de son animation.
« La voix de l’âme »[5] contre « la loi du corps »[6], telle est la question de la liberté qui trouve sa place dans la morale du vicaire Savoyard. Le mouvement de la matière (notre corps) vient de la volonté d’un être libre. C’est dans cette liberté que se joue la puissance de la volonté.Rousseau écrit :
« Le principe de toute action est dans la volonté d’un être libre, on ne saurait remonter au- delà. »[7]
Le lien entre liberté et volonté renvoie à la dialectique du mouvement : Rousseau affirme que c’est une volonté qui meut l’univers. Cette volonté est spontanée, rien ne la retient. Elle choisit ce qu’elle pense le meilleur. Elle est libre.
L’être humain possède une telleliberté, il est donc animé d’une substance différente. Il faut choisir entre la voix de l’âme et les lois du corps. Rien ne dicte notre choix. Rousseau écrit :
« L’homme est donc libre dans ses actions et comme tel animé d’une substance immatérielle. »[8]
L’âme existe. La voix de l’âme est la manifestation de notre liberté. Dans ces actions, la bête n’a pas de spontanéité. Elle n’est pas leprincipe de son animation. La bête n’a donc pas d’âme. Rousseau voit dans la liberté, le propre de la nature humaine. Rousseau reconnaît que l’homme est plus qu’un animal :
« Murmurer de ce que Dieu ne l’empêche pas de faire le mal, c’est murmurer de ce qu’il fit sa nature excellente, de ce qu’il mit à ses actions la moralité qui les ennoblit, de ce qu’il lui donna droit à la vertu. La suprême…