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Pascal et la diversité de la justice par Gérald SFEZ
| Presses Universitaires de France | XVIIe siècle 2004/2 – n° 223
ISSN en cours | ISBN 9782130544524 | pages 303 à 315
Pour citer cet article : — Sfez G., Pascal et la diversité de la justice,XVIIe siècle 2004/2, n° 223, p. 303-315.
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Pascal et la diversité de lajustice
On fera l’hypothèse qu’un certain classicisme de la pensée a pu paraître s’ordonner autour de trois paradigmes : celui du commun partage, de la juste mesure, du critère dont on répond. En revanche, la modernité s’ordonnerait, quant à elle, autour des trois paradigmes contraires : celui de l’hétérogène ou de la différence incommensurable, de la valeur de l’extrême, de l’arbitrage à partirdu sanscritère. Or, si l’on suivait ce tableau, le nom d’un grand penseur et écrivain classique, et non des moindres, détonnerait immédiatement : celui de Pascal. Non qu’on y verrait ouvertement à l’œuvre les trois vecteurs de l’attitude moderne, mais parce que, pour qui s’y rapporte précisément, la pensée de Pascal, dans sa complexité, est bien plutôt exemplaire de la complication de ces deuxséries paradigmatiques opposées. À ce titre, l’œuvre de Pascal est peut-être une des plus appropriées à l’exigence contemporaine d’abandon des slogans et des postures, et d’un devoir de maturité dans l’élaboration de ce qu’on est en droit d’appeler un classicisme baroque1. Mon propos est de donner ici un aperçu de la fécondité des usages de Pascal dans plusieurs des constructions de la philosophiepolitique actuelle du fait même de la composition entre ces deux séries paradigmatiques. Et, peut-être, de faire ressortir, par là, le point où se joue l’accent classique ou moderne.
DEUX TYRANNIES OU UNE SEULE ?
Ce qui aujourd’hui offre matière à discussion, c’est l’interprétation à donner et l’articulation à penser entre les fragments 58 et 103 des Pensées 2 sur la diversité de la justice. Lesdeux fragments 58 commencent chacun par une définition de la tyrannie
1. Voir Hélène Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les Lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, « Lumière classique », 2000 ; et La Langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, société, Paris, Le Seuil, 2003. 2. Nous suivrons ici le classement Lafuma (Pensées, dans Œuvres complètes, préfaced’Henri Gouhier, présentation et notes de Louis Lafuma, Paris, Le Seuil, « L’Intégrale », 1963, p. 493-640).
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qui dessine en creux celle de la justice : « La tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre » et « la tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre ». Ilconvient de rapprocher ces deux formulations définitionnelles de la tyrannie de celle du double niveau des qualités du moi au fragment 597 : l’une, la qualité seconde suivant laquelle le moi est « incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres » ; l’autre, la qualité première, plus secrète et autrement radicale, qui est…