Pinnochio etla métaphore paternelle

PINOCCHIO EN MAL DE MÈRE. CONSTRUCTION DU DÉSIR DE LA MÈRE ET MÉTAPHORE PATERNELLE
Pascal LE MALÉFAN?

L’histoire de Pinocchio est avant tout celle de la quête d’un père et du désir de devenir un bon petit garçon. La conclusion du récit va dans ce sens et le chapitre 2 en particulier1 souligne cette première direction du récit comme niveau manifeste du conte. Mais si le désir de revoirGeppetto va bien dominer, à partir du chapitre 13 c’est aussi le moment où il se trouve le plus compromis, empêché ou retardé, jusqu’à la scène des retrouvailles dans le ventre du requin. Quelque chose en effet résiste au désir obstiné de Pinocchio de retrouver celui qui l’a créé et d’accomplir son vœu d’être un enfant réel. Car si ce désir est bien présent dès le début du conte, il tarde à seconcrétiser. L’écrivain Paul Auster en indique la raison : « À un moment donné, Pinocchio se rend compte qu’il veut devenir un vrai garçon. Mais il est clair que cela ne pourra se produire qu’après qu’il aura retrouvé son père. » (Auster, 1996, p. 159). Cependant une quête peut en cacher une autre, qui peut se déduire de la question suivante : Geppetto est-il vraiment un père ? Ou, pour le dire à partir destermes mêmes du conte : un créateur est-il nécessairement le père de sa création ? L’hypothèse soulevée ici est bien que, avant de retrouver un père, et précisément pour que cet homme, Geppetto, soit

* Maître de Conférences en psychopathologie HDR – Université de Rouen – Laboratoire PRIS : Clinique et Société, 1, rue Lavoisier, 76821 Mont-St-Aignan cedex, France 1 Nous nous appuyons surl’édition : Collodi C., Les aventures de Pinocchio, Babel, Actes Sud, 1995

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Pinocchio en mal de mère. Construction du désir de la mère et métaphore paternelle

en position symbolique de l’incarner, il a fallu réaliser une mère qui vienne en tiers dans la relation entre le pantin et son créateur. Une mère dont on peut discerner un désir agissant qui subjective, ce qui suppose uneconstruction par phases. C’est le rôle évident de la Fée bleue, ?llette tout d’abord, puis femme et en?n mère (Collodi, p. 146). Entre Geppetto et Pinocchio, il manque d’emblée une femme en tiers symbolique (Ginestet-Delbreil, 1980). Ils sont effet liés dans une dualité imposée par un homme se voulant père mais dont le désir ne renvoie à aucune « femme ». De sorte que ce Geppetto n’est pas encore un père,bien qu’il fasse le père; et Pinocchio n’est pas humanisé par l’effet de la métaphore paternelle, ce « médium nécessaire » (Lacan, 1973, p. 247), qui permet de rendre la vie vivable, tempérée. Tout montre en effet un Pinocchio non encore soumis à la castration, phallus-enfant d’un homme qui désire être père et qui fait le père, sans soutenir la fonction paternelle, désirant en circuit fermé.Autrement dit Pinocchio n’a aucune chance de trouver quelque anticipation de la réponse sur la question du désir chez Geppetto, car cette réponse s’anticipe du côté de la mère comme condition de la mise en place de la métaphore paternelle. Il n’a donc comme solution que la fuite de la maison de son créateur : « [il] bondit dans la rue et prit ses jambes à son cou. » (Collodi, p. 38). L’histoire peutvraiment commencer, même s’il s’agit d’une « histoire à dormir debout » (ibid., p. 39).

Diachronie et synchronie
Le texte de Carlo Collodi, d’abord intitulé l’Histoire d’un pantin puis Les Aventures de Pinochio, raconte une histoire faite de rebondissements, une histoire très cruelle parfois, dramatique le plus souvent, et pourtant écrite pour des enfants. On y meurt, on se trucide, on sesépare, on pleure beaucoup. L’abandon, le désespoir, la mort imminente sont des moments qui scandent Les Aventures comme autant de petits cailloux sur la route du désir… Et c’est d’ailleurs le plus souvent lorsque les personnages, et Pinocchio en premier lieu, sont sur le point de mourir, que quelque chose se passe, que l’histoire fait un saut. Si bien que le conte se présente d’abord comme une…