Qu’est-ce que les Lumières ?
Par Raymond Court
www.contrepointphilosophique.ch
Rubrique Philosophie
16 mars 2008
(Le débat sur les Lumière, souvent passionné, gagnerait sans doute en clarté et sérénité si l’on portait davantage attention aux contextes nationaux, bien différents en France, Angleterre, Amérique et Allemagne, dans lesquels est apparu puis s’estdéveloppé ce grand élan en faveur de la raison. Ainsi la conception de l’Aufklärung défendue par Kant peut être qualifiée de « critique » par rapport à une orthodoxie des Lumière, souvent française, généralement dogmatique à l’égard du christianisme. Cette référence au facteur religieux, loin d’être secondaire, apparaît au contraire décisive au point de vue politique, notamment quant à la manière decomprendre la démocratie. A cet égard Rousseau a radicalisé le débat sur les Lumières et la réflexion magistrale de Kant sur ce dernier est particulièrement riche de signification pour penser le destin de l’Europe depuis la Révolution française. Et il importe de souligner la poursuite de ce débat chez des penseurs français défenseurs du libéralisme politique comme Chateaubriand, Tocqueville etB.Constant).
L’idée générale des Lumières ( en allemand Aufklärung, en anglais Enlightenment) est que l’humanité ne remplira ses fins que par l’usage de la raison. Mais cet usage de la raison a été entendu de différentes façons. Ainsi pour Diderot, l’homme de l’Encyclopédie, l’idée centrale est celle de savoir comme principe à la fois de libération par rapport aux superstitions (notamment religieuses) et de progrès vers le bonheur grâce aux techniques et aux sciences. Telles sont les Lumières de cette raison universelle qui éclaire les hommes et leur ouvre l’horizon d ‘un progrès inéluctable et indivisible ( à la fois matériel, intellectuel et moral). Or c’est précisément à cette conception qu’il trouve matérialiste et bourgeoise que, dans ses deux fameux Discours, s’opposeRousseau au nom même de la raison. « Nous pouvons être homme sans être savant » écrit-il dans l’Emile L’important n’est pas en effet la puissance d’acquérir des connaissances mais la puissance de se déterminer soi-même, soit individuellement sur le plan moral ( avec l’obligation librement consentie), soit collectivement sur le plan politique ( avec la souveraineté populaire par laquelle «l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». Et, sur ce point, Kant suivra Rousseau et selon cette seconde perspective l’idée centrale pour définir les Lumières sera alors l’idée d’autonomie [1] .
On notera que cette manière d’entendre les Lumières implique une attitude tout autre que la précédente à l’égard du phénomène religieux et notamment du christianisme. Alors que lerationalisme optimiste du progrès d’un Diderot dans l’Encyclopédie avec sa connotation utilitariste va dans le sens de l’idéologie dominante du 18ème siècle français qui est anti-chrétienne [2] , par contre on peut estimer que la critique rousseauiste du progrès des Lumières conduisant au bonheur de l’humanité ouvrait la voie à une autre philosophie des Lumières au nom de ce que Kant allait nommer laraison pratique. Or celle-ci, en allant dans le sens de la défense de la dignité personnelle selon la ligne défendue par l’école du droit naturel, était d’inspiration fondamentalement chrétienne. Ainsi pour Kant en effet la vérité des Lumières réside dans cette double autonomie à la fois morale et politique, et elle se définit au niveau de la destinée humaine dans son ensemble, à travers lesépreuves multiples et tragiques de l’histoire ( notamment les guerres), par l’établissement de la liberté dans les relations entre les hommes grâce à l’instauration d’une constitution civile et d’un Etat [3] .
On remarquera d’ailleurs qu’en Allemagne, comme en témoigne par exemple la Théodicée de Leibniz, la réflexion sur l’Aufklärung ne s’est pas engagée comme en France dans un climat…