Sujet :
Étude de l’Ironie dans l’œuvre de François Rabelais
L’Ironie est certes un trope en ce qu’elle opère une substitution de terme mais n’est Ironie qu’en ce qu’elle peut être identifiée comme telle en relation avec un contexte particulier. En effet hors de celui-ci il est souvent impossible et même vain d’essayer de la repérer (contrairement à une métaphore qui peut se suffire assezaisément à elle-même.) Ainsi, si on affirme « Ah quelle belle ville » sans préciser qu’il s’agit d’une ville industrielle de Sibérie centrale, comment notre interlocuteur comprendrait-il que le but est d’en souligner la laideur. On peut citer de même Montesquieu dont certains textes dénonçant l’esclavage ont été repris tels-quels dans des brochures propagandistes faisant l’apologie de la traite.C’est cette ambivalence, condition même de l’Ironie, qui va faire la difficulté de son repérage dans l’œuvre de Rabelais. En effet le lecteur de Rabelais s’affronte sans cesse au problème du sens de l’œuvre dans un contexte polysémique. Son œuvre est essentiellement polyphonique, en ce qu’y entrent en résonnance, s’y confondent, s’y mêlent différentes paroles, différents registres, des tons différentsqui provoquent une ivresse linguistique, un rire qui ne peut s’arrêter, mais qui brouillent aussi totalement le sens du texte. Les frontières sont poreuses entre le narrateur et ses personnages, mais aussi entre le sérieux et un rire qui contamine l’univers entier. Nous aborderons ce problème du sens, notamment en passant en revue les textes, ainsi que différentes interprétations ou tendancesinterprétatives, ce afin de montrer à quel point l’interprétation de l’œuvre de Rabelais pose problème et que dans ce cadre il est très difficile de cerner un ton Ironique. Dans ce contexte quel est donc le statut de cette figure? Au côté d’une Ironie assez définissable que l’on pourrait qualifier de ponctuelle et que lecteur rencontre de manière éparse dans l’œuvre de Rabelais, on trouve égalementdes marques d’une Ironie utilisée de manière beaucoup plus ambivalente, et qui en quelque sorte met en question le concept d’Ironie même comme ressort comique et argumentatif. Nous défendrons ce point de vue à travers une analyse détaillée de texte nommé généralement « Éloge des dettes ». Ce passage du début du « Tiers Livre » est sans conteste un model de satyre ironique, mais, en cela même quel’éloge va « dégénérer », propose une réflexion sur l’Ironie même, qui à défaut de déboucher sur une condamnation de cette figure du moins en montrerait avec finesse les dérives potentielles. D’autre part, dans la foulée des thèses de Bakhtine sur le rire Rabelaisien, nous verrons comment l’Ironie peut être cernée comme une tonalité présente de manière latente dans toute l’œuvre de Rabelais.
Lescommentateurs ont beaucoup glosé sur le sens de l’œuvre de François Rabelais. Dans le chapitre « Rabelais et l’histoire du rire » de son ouvrage L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance Mikhaïl Bakhtine passe en revue les différentes interprétations des cinq Livres qui ont pu voir le jour au fil des siècles. Ainsi le XVIIème marquera le triomphe d’unelecture historico-allégorique de l’œuvre du chinonais, du type roman à clé. Pour les Lumières et toujours selon Bakhtine, Rabelais « était l’incarnation parfaite du « XVIème siècle sauvage et barbare. » »(P122) Et de citer Voltaire (notons-le en passant un des maîtres de l’Ironie) pour lequel Rabelais, ce « Philosophe ivre qui n’a écrit que dans le sens de son ivresse », n’aura écrit « Qu’un bonconte de deux pages (…) acheté par des volumes de sottises.»(P122) Au XIXème siècle Rabelais jouira d’une fortune plus clémente, et l’irrationalité et la folie verbale qui agaçaient tant la raison des Lumières, seront signes pour Victor Hugo de Grotesque et par là de génie, et placeront Rabelais aux côté d’Homère, Cervantès ou encore Shakespeare dans la liste des 14 génies universels dressée…