Racine et le regard

Corrigé Concours Blanc
Racine

Selon un critique contemporain, l’acte de voir pour Racine «reste toujours hanté par le malheur». En vous appuyant avec précision sur Andromaque et sur les œuvres de Racine que vous connaissez, vous direz dans quelle mesure vous adhérez à ce jugement.

Perspective très proche de celle de Starobinski, ce qui donnait quelques éléments pour traiter le sujet, maisne suffisait pas à le traiter. La dissertation n’est pas un simple contrôle de connaissances.

«Dans quelle mesure vous adhérez à ce jugement»: cela suppose un certain recul critique. Le problème n’est pas simplement d’entrer totalement et sans réserve dans la lecture proposée par Starobinski. La phrase détachée de l’essai tout entier n’obligeait pas à comprendre et à connaître l’ensemble desa doctrine. Connaître l’auteur d’où provient l’idée soumise peut servir, mais cette connaissance de l’auteur ne doit pas conduire à oublier l’énoncé proprement dit.

Il n’est pas seulement question du regard mais aussi de l’acte de voir. Il ne s’agit pas simplement de la poétique du regard mais le rapport privilégié qu’entretient le regard avec le malheur et que ce malheur pourrait se résumer àune espèce de hantise.

«être hanté»: idée des revenants.
Hantise suppose obsession, la répétition, la continuité dans quelque chose.
Fréquenter. Cf. Tartuffe: on essaie de faire comprendre à Orgon que sa fille pourrait avoir meilleur époux que Tartuffe, «il ne hante pas les églises».
Hanter, demeurer en un lieu particulier. Nouer avec un certain lieu une relation étroite.Poursuivre, obséder, harceler tourmenter. Cela suppose le malheur, l’angoisse, la névrose.

Que l’on considère que le malheur hante l’acte de voir, l’occupe de façon constante, que le malheur est pour le personnage de Racine est une obsession, une pensée constante, que l’on considère que cette obsessions vient de lui-même et qui serait projetée hors de lui, ou alors que l’on considère que cemalheur, c’est le monde qui l’entoure qui finalement le projette en lui, se reflète dans le yeux du personnage.

Starobinski parle de «l’acte de voir». Qu’est-ce qu’un acte? Ne pas confondre acte et geste. L’acte est délibéré. Comment un acte ne pourrait-il pas être totalement déterminé par la liberté, la conscience et la volonté. Il y a dans la vision quelque chose de tout à fait aléatoire, quiéchappe au contrôle de soi-même.

Qu’est-ce qui fait de l’acte de voir, selon Starobinski, un acte hanté par le malheur? Les hommes sont les jouets de la fatalité du fait de leur soumission. «Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne» (Oreste). Renoncement au statut de sujet agissant. Chaque fois que le héros devrait agir, il préfère se soumettre, il ne lutte pas, ou encore en apparence.

Lapassivité du héros à propos de Racine fait véritablement l’efficacité du destin, du fatum, des déterminismes qui les soumettent et les détruisent. Il y a donc une faille à creuser dans l’énoncé. À supposer que voir soit un acte, un simulacre d’acte pour le personnage Racinien, et plutôt quelque chose que le monde lui impose, qu’il n’a pas choisi.

«Je le vis» (Phèdre): mais à aucun moment je n’aicherché, voulu le voir. Le seul désir du personnage est de n’être plus vu et de ne plus voir. Quitter le monde où il est prisonnier (monde de la lumière, de l’évidence). Le personnage est obligé de voir tous les regards qui le regardent, d’où l’idée de se cacher, d’abolir la lumière, le regard qu’on subit. Impossibilité de rejoindre l’ombre, l’obscurité.

En cela, le personnage racinienconnait peut-être un sort plus tragique encore: Oedipus Rex. Il se crève les yeux, il s’aveugle pour ne plus voir sa propre faute, pour se soustraire à cette lumière qui le juge et qui lui renvoie l’image de sa faute. L’obscurité elle-même est transparente, elle est peuplée d’images terribles, elle est hantée par la vue, la conscience. Pas de soulagement.

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