Rapports

La Turquie face aux défis économiques
par Didier Billion, directeur-adjoint de l’I.R.I.S
Intervention prononcée lors du colloque du 21 février 2006 Turquie-Maghreb : les conditions du décollage économique

Avec la Turquie nous nous trouvons bien sûr dans un cadre différent de celui des Etats du Maghreb puisque ce pays a déjà connu sa phase de décollage économique, qu’il est dans un cadred’association avec l’Union européenne (UE) depuis 1963 et que des pourparlers d’adhésion ont débuté en octobre 2005 plaçant ainsi la réflexion dans le cadre d’une hypothétique adhésion à l’UE.

1.La situation économique actuelle

Certes, la Turquie est un pays relativement pauvre : elle représenterait, en 2003, dans l’hypothèse d’une UE-28, seulement 2,2% du produit intérieur brut (PIB) decelle-ci aux taux de change courants et 4,4% en parité en pouvoir d’achat (PPA) (1), tandis qu’elle constituerait environ 15% de la population de l’UE (2). Ses performances économiques restent également sensiblement en deçà de celles des dix nouveaux États membres, qui ont eux-mêmes des résultats inférieurs à ceux de l’UE-15 : le PIB par habitant (PPA) de la Turquie, 6256 euros en 2003, n’équivaut qu’à28,5% de celui de l’UE-25, alors que la performance des dix pays de l’Europe centrale et orientale atteignent à peu près 50% de l’UE-25.
Pourtant, des éléments essentiels ne figurent pas dans ce sombre tableau fréquemment présenté. Il est certes évident que le niveau économique de la Turquie en ce début de processus de pourparlers d’adhésion n’est pas au niveau des pays membres de l’UE qui ontdéjà effectué ce parcours. Afin de travailler sur des données plus objectives, il faut donc comparer la situation économique des pays concernés précédant l’ouverture desdits pourparlers . Cette simple précaution méthodologique indique la nette supériorité de la Turquie par rapport à la Bulgarie et à la Roumanie, dont les PIB étaient respectivement de l’ordre de 5120 et 4980 euros par habitant en1999 (4). En suivant la même logique, on peut même comparer les performances économiques actuelles de la Turquie à la Pologne de 1997, dont le PIB ne représentait que 7410 euros par habitant à l’époque (5).
Pour évaluer correctement les capacités économiques de la Turquie, il est également nécessaire de prendre en compte le fort potentiel de croissance qu’elle possède. Les impressionnantesperformances des dernières années lui permettent de se situer parmi les pays qui possèdent les meilleurs taux de croissance dans le monde, le 7e en 2005, et ce, malgré les effets négatifs persistants de la crise économique la plus grave de son histoire récente qui éclata en 2001 (6). D’après les plus récentes données de l’Institut national de statistique turc, le PIB par habitant a connu une croissancede 9,9% entre 2003 et 2004,
un chiffre largement supérieur aux objectifs fixés qui étaient de l’ordre de 5% (7).
Quant aux performances en termes de croissance à long terme, les résultats sont aussi remarquables : la croissance du PIB entre 1995 et 2003, de l’ordre de 28%, est nettement supérieure, non seulement vis-à-vis de celle des deux autres pays candidats, la Bulgarie et la Roumanie dontl’adhésion est prévue pour 2007, mais aussi par rapport à la moyenne de l’UE-25, qui est de 18,8% (8).
Au vu de l’évolution positive de son économie, le secrétariat d’État turc au Trésor s’est même permis d’annoncer, le 4 mars 2005, que son pays n’avait plus besoin du milliard de dollars que les États-Unis s’étaient engagés à verser en septembre 2003, afin de soutenir ses réformes économiqueset compenser les effets négatifs du déclenchement de la guerre en Irak (9). Le caractère hardi d’une telle déclaration n’échappera pas à ceux qui considèrent que l’économie turque vit essentiellement des aides et des prêts extérieurs et se contente de lorgner avec intérêt la supposée manne bruxelloise.
Néanmoins, l’économie turque est encore loin d’avoir réalisé son fort potentiel, en raison…