« Si la littérature du passé décrivait (ou croyait décrire) la réalité, celle d’aujourd’hui s’aperçoit que ce qu’elle décrit n’est pas la réalité, mais le langage, dont elle se reconnaît captive aussitôt qu’elle se met à parler ».
Depuis Aristote et sa poétique, l’homme n’a eu de cesse que de classer les œuvres littéraires. En fonction des mots utilisés, de la forme du récit, du registre,ils ont un genre différent : le genre permettant de classer les œuvres et engendrant chez le lecture des attentes diverses. Ainsi romans et épopées sont gages de productions fictives tandis qu’autobiographie est gage de réalisme.
Depuis le 17 siècle, toute une série de romans narratifs voit le jour mais au sein de ces romans, la voix qui nous parle a pour projet d’organiser un récit. Elle essayede créer une cohérence narrative, poétique et chronologique afin de permettre à l’auditeur de comprendre la réalité fictive ou non explicitée. Des romans personnels émergent, voulant se faire passer pour des documentaires authentiques. Si un roman est épistolaire, l’auteur se fait passer pour celui qui a découvert les lettres, on trouve alors souvent le topos du manuscrit retrouvé : l’auteurpromettant au lecteur que son récit est authentique. Les lettres portugaises par exemple, passent pour être des lettres de sentiment naturellement écrites et revêtant alors ce que l’on appelle : « le langage de l’âme »[1]. Cependant, même si l’auteur semble mimer la réalité, même si ces lettres ont longtemps été perçues comme de vraies lettres, on ne peut que se sentir dupé : la réalité que le lecteurpensait percevoir est fausse. Ce qui permet à l’auteur de tromper le lecteur ce sont le genre emprunté et la dimension littéraire de l’œuvre. Le trait y est discursif, on favorise ce lien de l’immédiateté entre celui qui écrit et celui qui reçoit la lettre. Pourtant, dans ces romans personnels, la dimension rétrospective est importante. Si la lettre ou le roman est mémoire, il est narratif,rétrospectif et continu afin d’offrir au lecteur un gage de cohérence. On peut donc penser que l’emballage littéraire du récit nuit à son réalisme qui ne peut alors pas être défini par le genre. C’est au 20ème siècle qu’apparait un nouveau type de roman qui laissera plus de place à la pensée du personnage, il va nous permettre de nous confronter à l’instantanéité de la parole: on a l’émersion de ce quel’on appelle le monologue intérieur, procédé qui permettra à l’auteur de présenter d’une nouvelle manière les pensées du protagoniste, augmentant la dimension dramatique du récit : le dire et le dit peuvent ainsi coïncider, c’est le « roman de la voix ». Pourtant lorsqu’un auteur essaie de décrire la réalité, il le fait aux moyens de mots qui relèvent d’une réalité, mais d’une réalité explicitée.C’est le langage qui donne sens au récit, et ce langage brouille la réalité qu’il se vantait de décrire. Cette dernière ne peut s’exprimer, elle est alors captive de son intermédiaire entre locuteur et auditeur : le langage. Ainsi, si le langage ne peut plus décrire la réalité, quel est donc sa fonction et au moyen de quoi cette réalité peut-elle réellement s’exprimer? C’est par l’étude de deuxromans : La chute d’Albert Camus et Molloy de Samuel Beckett, que nous tenterons de répondre à ces questions en analysant d’abord les fonctions du langage dans ces deux œuvres, l’importance de la discussion et le silence qui paraît être le seul moyen possible à l’expression de la réalité.
Jean Baptiste Clamence, ancien avocat a vécu aisément grâce aux prouesses de son discours et à ses qualitésd’orateur. Pourtant après une crise de conscience, il décide de s’adonner à une autre activité : la pratique de la confession publique. C’est encore par le langage qu’il exerce, racontant, par le biais d’un dialogue mystérieux, les actes peu glorieux qui jalonnent son passé. Dans ce procédé de confession, le langage revêt la forme d’un procès : celui qui écoute devient un converti, passant de…