Renaissance et christianisme

L’Europe se trouve en face d’un événement majeur pour son histoire, la Réforme protestante. Voilà pourtant un lieu d’interprétations fort controversées. Cf L. Febvre, qui estimait que la question des origines de la Réforme et particulièrement de l’influence de la culture de la Renaissance était mal posée commentait ainsi Michelet, p. 384. La Renaissance est-elle résurrection de l’antiquité ? « Cette antiquité, la voilà qui transforme les arts, les lettres, la philosophie et porte un coup terrible au christianisme. Le postulat est annoncé pour un siècle : Si le Moyen Age fut chrétien, il ne put être antique et puisque la Renaissance est antique, elle dut tuer, elle tue nécessairement et le Moyen Age et le Christianisme. Bel exemple des sottises que peut dicter la logique à l’histoire « .Les historiens du siècle passé, soucieux d’associer Renaissance et progrès de la raison contre l’obscurantisme religieux ont oublié que l’Antiquité fut aussi chrétienne et que Constantin est aussi important qu’Auguste.
Il faut abandonner cette historiographie qui traîne encore beaucoup dans les manuels et qui voudrait que l’Antiquité fût uniformément païenne. La Renaissance ne détruit pas leChristianisme mais le transforme en effet. Les humanistes ont d’ailleurs remarquablement su baptiser les auteurs antiques comme Platon, Virgile et Cicéron. L’Antiquité ne présentait de danger que chez ceux qui se laissaient aspirer par le paganisme général des temps de Cicéron en voulant trop imiter cette langue latine qu’ils estimaient parfaite. Érasme, lui-même dénonça très tôt ce snobisme quiconsidérait à imiter les antiques jusque là. La Renaissance a donc une face chrétienne, fort agitée d’ailleurs, et qui ne se résume pas à de l’antirenaissance ou au conservatisme des théologastres (fortement remis en cause d’ailleurs). Au niveau le plus élémentaire, celui des paroisses, Pierrette Paravy, Francis Rapp et moi-même avons pu montrer la prospérité de la vie religieuse à la veille de la Réformeet remettre ainsi en cause l’image d’une Église médiévale engluée dans ses  » abus « . La Renaissance sert donc largement le christianisme, bien plus qu’elle ne le détruit. Elle le sert dans le renouveau philosophique et biblique. Cf. Rien au-dessus de l’Histoire du christianisme, t. 7, Des réformes à la Réformation (1450-1530).
Le néo-platonisme habituel interprète en effet remarquablement lechristianisme dans la mesure où il illustre parfaitement l’article du Credo exaltant le Christ  » Lumière née de la lumière « , omniprésent dans la création et source de toute fécondité et de tout ordre. Pas d’autorité sans transcendance, pas d’ordre social sans morale, pas d’activité efficace sans l’aide de Dieu, bientôt, il n’y aura pas de bonheur sans le soleil. Plusieurs auteurs dont l’historien dela littérature Henri Busson ont mis en doute l’affirmation de Lucien Febvre (La religion de Rabelais) selon qui l’athéisme est impossible au début du XVIe siècle. Mais nous verrons qu’il est particulièrement difficile de sonder les reins et les cœurs. Il est évident que des individus au parcours personnel particulier ont pu accéder à la non-croyance, mais tous les mécanismes sociaux et politiquesde ce temps supposent l’adhésion à une transcendance, chrétienne ou moins chrétienne, là n’est pas le problème. A commencer par les désirs de réformes de l’État, car j’y insiste à nouveau, toutes les manifestations de la vie collective ont quelque chose à voir avec la vie religieuse. Mais contrairement à ce que laisserait penser Rabelais par exemple, la réforme a commencé, chez les moines, oùc’était plus facile, mais aussi chez les évêques comme le montrent les travaux sériels sur les visites pastorales, dont la forme juridique fixe permet des comparaisons fructueuses avec les autres périodes.
Une évidence n’a pas été assez explorée encore par les historiens, l’universalité de l’aspiration à la réforme commune à l’ensemble de l’Europe. La réforme in capite et in membris pour l’Eglise…