Alchimie du verbe est le deuxième volet du diptyque poétique « Délires ». Il ya eu deux Délire. Dans le second Délire, « Alchimie du verbe » se présente comme une confession d’une personne tourmenté qui analyse avec ironie et dérision son expérience poétique mais tragique. Il fait une autocritique de son parcours chaotique et reconnaît ses erreurs. Le regard qu’il porte sur son passé est un regardlucide. « Alchimie du verbe » dénonce la crédulité et la naïveté dont il a fait preuve. Il utilise l’imparfait et le passé simple, verbes au passé pour bien préciser qu’il s’agit d’une expérience vécue, qu’il cherche à oublier, à effacer de ses souvenirs. Les références temporelles sont floues, aucune datation précise, aucun repère temporel, « Depuis longtemps », « ce fut d’abord », autant de termesvagues soulignant l’imprécision de l’écart existant entre le temps de renonciation et celui des faits. Cette impression de détachement est par ailleurs amplifiée par la structure même du poème qui sans suivre un schéma narratif précis établit un itinéraire rigoureux.
Le narrateur commence par raconter une des folies de sa vie. Au départ, il avait le sentiment d’avoir tout vu, il méprisait lesgloires contemporaines, il aimait les choses marginales, étranges, démodées, rêvait d’histoires inconnues. Un jour il avait donné des couleurs aux voyelles dans une première tentation d’écrire une poésie qui s’adressât à tous les sens. Poursuivant son itinéraire, il s’était exercé à exprimer l’inexprimable. Mais il se trouva encore trop lié aux schémas anciens. Il avait provoqué dans son esprit deshallucinations, chahuté les mots. Avec cette méthode il atteignit un état mystique et fiévreux, un détachement du monde extérieur pour un autre désincarné, de déserts, de puanteurs, de brûlures. Ce recul par rapport à la vie ordinaire lui fit découvrir toutes les autres qu’on ne pouvait voir par l’aveuglement de l’action quotidienne et de la morale. D’autres vies nous étaient dues. Mais l’ascèseprovoqua des délires dangereux à sa santé et il dut l’interrompre, s’en échapper par la distraction et les voyages. Désormais condamné à cette quête continuelle du bonheur, il avouait finalement que tout cela n’était que du passé.
« Alchimie du verbe » comprend trois parties faites d’une alternance de poésies déjà connues, très modifiées, d’influence plutôt parnassienne suivies de réflexions nonversifiées, en proses. La première partie présente le contexte général et l’ambition de cette époque passée, l’invention d’une nouvelle langue, une sorte de langage universel « Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. La langage poétique semble lacé dans notre univers obscurci où les phrases ont perdu leur valeur, unnouveau verbe doit permettre en reprenant toute sa puissance d’évocation de retrouver cet ailleurs, de découvrir cet inconnu et de partager avec tous, cet univers reconstruit. C’est pourquoi le vocabulaire doit être déréglé, sorti de sa norme par ce « dérèglement de tous les sens ». Si les mots cessent d’être figés dans les dictionnaires et échappent à leurs concepts desséchants, à la raisonobscurcissant, ils nous permettront de retrouver la réalité. La méthode appliquée à la langue est proche de celle de l’alchimie. Rien d’étonnant donc que les deux poèmes, « Larme » et « Bonne pensée du matin », de cette époque qui illustre ses propos, puissent être lus à la lumière des sens alchimiques. Le titre même du chapitre confirme cette volonté initiale. Rimbaud tourne donc le dos aux pratiquesparnassiennes pour retrouver des ingrédients plus riches à sa langue, à travers des rêves inconnus aptes à supporter son langage.
La deuxième partie commence par « J’inventai la couleur des voyelles ». Après le constat, c’est l’édification de ce monde nouveau, la création, l’invention. Le verbe « inventer » revient d’ailleurs deux fois, signe de son rôle et en même temps de la gloire que tire l’auteur de…