Sagan

Hommage à Sagan

On aurait bientôt quinze ans. On n’analysait pas grand-chose. On ne comprenait pas grand-chose ou on ne s’y autorisait pas. On lisait comme on était amoureux, pour se perdre dansl’autre, puisqu’on n’avait pas encore découvert qu’on peut se perdre avec l’autre. On n’établissait aucun rapport entre les pages des Lagarde et Michard et le tourniquet des livres de poche dans leMonoprix de l’avenue de l’Opéra, aucun rapport entre les poèmes qu’on écrivait en secret, la nuit, sous les draps, à la lampe de poche, et l’Anthologie de la poésie française parue chez Seghers où on avaitlu et depuis on se répétait ce vers de Marcel Thiry « « Toi qui pâlis au nom de Vancouver ». On n’imaginait pas que Vancouver était une ville réelle, où on aurait pu se rendre, on n’imaginait pas queMarcel Thiry était un écrivain vivant, qu’on aurait pu rencontrer. On a deviné qu’il était question de quelque chose concernant soi dans ce qu’on lit en lisant Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich,en le relisant on a souligné de plus en plus de phrases, on a commencé d’en parler, des livres, de la littérature, mais pas encore de soi. Et on a compris qu’il était question de quelque choseconcernant soi dans ce qu’on écrit en lisant Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Elle était jeune. Elle était une femme. Elle était belle de sa beauté à elle. Ses cheveux lui tombaient dans les yeux. Elles’habillait en pantalon. Elle souriait, elle n’était pas loin. On voyait sa photo dans les magazines. Elle s’appelait Françoise, comme n’importe quelle fille. Elle avait des parents. Elle allait dansdes cafés, elle conduisait des voitures, elle aimait le soleil, la mer, la nuit, la danse, la plage, elle était triste d’une tristesse qu’elle disait aimer, elle était amoureuse un jour et pas lelendemain, elle buvait du whisky. Elle s’autorisait à écrire le quotidien de la timidité et de l’insolence dans des histoires, elle a autorisé à acheter un cahier de brouillon spécialement pour ça et…