Le Jugement de Renart
À peine le roi, fatigué des débats, venait-il d’en finir avec une longue séance que surviennent Chantecler et les poules se frappant de leurs paumes. Pinte la première, puisles autres, s’écrient à pleins poumons : « Par Dieu, dit-elle, nobles bêtes, chiens, loups, vous tous qui êtes ici, assistez donc une malheureuse de vos conseils ! Je hais l’heure de ma naissance. Mort,prends-moi donc, hâte-toi puisque Renart m’ôte la vie ! J’avais cinq frères, tous fils de mon père : ce voleur de Renart les mangea tous. Quelle perte immense ! Quelle cruelle douleur ! Du côté de mamère, j’avais cinq soeurs, de jeunes vierges, des amours de poulettes. Gombert de Fresne les nourrissait, les gavait pour la ponte. Le pauvre ! À quoi bon les avoir engraissées puisque, sur les cinq,Renart ne lui en laissa jamais qu’une seule ? Toutes prirent le chemin de son gosier. Et vous qui gisez dans ce cercueil, ma douce soeur, mon amie chère, comme vous étiez tendre et grassouillette !Comment votre soeur infortunée va-t-elle pouvoir vivre sans jamais plus vous voir ? Renart, que le feu de l’enfer vous brûle ! Combien de fois vous nous avez persécutées, pourchassées, secouées,combien de fois vous avez déchiré nos pelisses ! Combien de fois vous nous avez traquées jusqu’aux palissades ! Hier matin, devant la porte, il me jeta le cadavre de ma soeur avant de s’enfuir dans unvallon. Gombert ne possédait pas de cheval rapide et n’aurait pas pu le rattraper à pied. Je voulais engager des poursuites contre lui mais je ne trouve personne qui me rende justice, car Renart se souciecomme d’une guigne des menaces et de la colère d’autrui. »
À ces mots, la malheureuse Pinte tombe évanouie sur le pavé, aussitôt imitée par ses compagnes. Pour relever ces quatre dames, le chien,le loup et les autres bêtes se levèrent de leurs tabourets et leur aspergèrent la tête d’eau. Revenues à elles, comme nous dit l’histoire, quand elles voient le roi assis sur son trône, elles courent…