Tous les matins du monde, la mort

TOUS LES MATINS DU MONDE

Dans Tous les matins du monde de Pascal Quignard et Alain Corneau, la mort occupe une place majeure. En effet le roman de Quignard s’ouvre sur la mort de madame de Sainte Colombe : « au printemps de 1650, madame de Sainte Colombe mourut » et celle de l’ami de Vauquelin.
Il est alors intéressant de se demander quelle est la place de la mort dans les deux œuvres ?
I –L’omniprésence de la mort
1. Elle fait partie intégrante du récit
*La mort est intégrée au récit de façon très naturelle. Elle existe constamment dans les deux œuvres. Les personnages secondaires meurent eux-aussi et cela contribue à édifier une atmosphère, un univers aux personnages. La mort de l’ami de Vauquelin qui ouvre le roman ; la mort de Caignet « En 1679, Caignet mourrut » (chap 19) quipermet d’ailleurs à Marin Marais de prendre sa place. La mort de Guignotte, la domestique de Sainte Colombe « Guignotte mourrut » (chap 22).
*De plus, il est intéressant de constater que la naissance elle-même peut contenir la mort. C’est le cas avec la mort de l’enfant de Madeleine. « Elle accoucha d’un petit garçon qui était mort né » (chap 19) mais également avec la naissance même deMadeleine « Elle était née l’année où le feu roi était mort » (chap 23)

En Monsieur de Sainte Colombe se superposent deux éléments : le manque avec lequel il vit, mais qu’il assume et qualifie de « savoir ». Ce manque, il en a conscience, mais, plus encore, il l’outrepasse en entrant dans l’intimité des morts. En effet, par la musique, il rejoint le monde des morts, tel Orphée, c’est du moins ce quelui assure sa femme, Madame de Sainte Colombe en clamant que « quelquefois, la lumière porte jusqu’à vos regards des morceaux de nos apparences » (p. 91).
Par son consentement au néant et à la culpabilité, il se place hors du temps et révèle en cela ses rapports étroits avec le jansénisme. Justement, les « Messieurs de Port-Royal » vivent en-dehors de la société, reclus, acceptant le silence dudieu « caché » dans l’espoir de la rédemption. D’ailleurs, dans le cadre de l’éducation qu’il transmet à ses filles, Madeleine et Toinette, c’est à « un homme qui appartenait à la société qui fréquentait Port-Royal, Monsieur de Bures » qu’il fait appel. M. de Bures leur inculque « les lettres, les chiffres, l’histoire sainte et les rudiments du latin » (p. 10), en toute fidélité avec cesconvictions.
Ainsi, M. de Sainte Colombe, bien que n’étant pas janséniste à proprement parler – il aurait été protestant -, présente des liens étroits avec le jansénisme. Surtout, il se montre étranger à tout rapport sociétal.
l’épisode clé faisant de Sainte Colombe un être reclus, c’est en évidence la mort de sa femme. De fait, « Monsieur de Sainte Colombe ne se consola pas de la mort de son épouse »(p. 9). Sa mort le fit s’éloigner de tout divertissement, mais, surtout, de « la religion » (p. 17), et ce de façon quotidienne. Tout au long du roman se reflète en M. de Sainte Colombe le portrait de l’ascète sourd à son époque. Ainsi, lorsque M. Caignet, « joueur de viole attitré de Louis XIV » (p. 24), se présentait à Sainte Colombe, ce dernier lui répondit : « Vous direz à sa Majesté que sonpalais n’a rien à faire d’un sauvage qui fut présenté au feu roi son père il y a trente-cinq ans de cela » (p. 26).
A ce mutisme grandissant correspond d’une part la composition du Tombeau des regrets mais aussi d’autre part cette volonté de se perfectionner dans l’art de la viole, sans oublier enfin la préservation constante de son intimité avec sa épouse morte, Madame de Sainte Colombe : ainsi, ilentend encore sa voix, « une voix basse, du moins contralto » (p. 49).
Par conséquent, nonobstant ce retrait de la société mis en exergue par son silence, il s’ouvre à la musique et au travail perpétuel. Surtout, il exprime ses passions avec zèle.

I] Le défi de la mort
a) La mort, seul ennemi
Si la musique veut « réveiller les morts » (p. 115), elle se doit de défier le trépas. Comme…