l y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi; et que nous sommes certains, plus que par l’évidenced’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. La plus forte sensation et la plus violente passion, disent-ils, au lieu de nous distraire de cette vue, nefont que l’établir plus intensément; elles nous font considérer leur influence sur le moi par leur douleur ou leur plaisir.Essayer d’en fournir une preuve plus complète serait enaffaiblir l’évidence; car aucune preuve ne peut se tirer d’aucun fait nous ayons une conscience aussi intime; et il n’y a rien dont nous puissions être certains si nous doutons dece fait.
Malheureusement toutes ces affirmations positives sont contraires à l’expérience elle-même, qu’on invoque en leur faveur; et nous n’avons aucune idée du moi à la manièrequ’on vient d’expliquer ici. En effet, de quelle impression pourrait dériver cette idée?
Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi, je butetoujours sur une percpetion particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir,moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussilongtemps je n’ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n’existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser, nisentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant.