VERS UNE LECTURE SOCIOLOGIQUE DE LA TRANSPOSITION DIDACTIQUE Philippe Perrenoud Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation et Service de la recherche sociologique Genève, 1986 p. 1 Ce texte est à la fois un compte-rendu et une analyse critique d’un ouvrage d’Yves Chevallard, La transposition didactique du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage Editions. 1985. Delarges extraits du livre donneront une idée des thèses principales de l’auteur. Je tenterai d’en discuter la pertinence au-delà du savoir mathématique et surtout d’analyser les rapports entre la culture et les contenus de l’enseignement dans une perspective sociologique, ce qui éloigne inévitablement de la démarche du didacticien. En dépit de cette différence de point de vue et de certainsdésaccords, ce commentaire se veut une invitation à la lecture du livre et au dialogue avec l’auteur. p. 2 On peut avec Verret (1975) et Chevallard appeler transposition didactique, l’ensemble des transformations que fait subir à un champ culturel la volonté de l’enseigner dans un cadre scolaire et « l’apprêt didactique » qui s’ensuit. Cette première phase de transposition didactique aboutit à ce qu’onpeut appeler le curriculum formel, autrement dit à une codification de la culture à enseigner, qui s’incarne non seulement dans les plans d’études et les programmes officiels, mais dans divers commentaires, dans les livres du maître, dans les ouvrages méthodologiques, dans les moyens d’enseignement destinés aux élèves et dans certains instruments d’évaluation mis à la disposition des maîtres ouutilisés pour « contrôler » leur enseignement. Du curriculum formel au contenu réel de l’enseignement s’opère une seconde transformation qu’on peut considérer comme une seconde phase de la transposition didactique, faite cette fois par l’enseignant lui-même qui transforme, selon l’expression de Chevallard, les « savoirs à enseigner » en « savoirs enseignés ». Cette seconde phase correspond à ce quej’appelle passage du curriculum formel au curriculum réel (Perrenoud, 1984). Elle existe dans toutes les disciplines et à tous les niveaux de l’enseignement. Il n’est certainement pas absurde d’envisager leur généralisation (réponses de Chevallard) à d’autres disciplines académiques ou à d’autres champs du savoir, mais cette généralisation a un préalable : l’identification de ce qui, dans latransposition didactique, relève d’un type de savoir et d’un type de didactique bien défini et ce qui transcende non seulement la variation des contenus, mais les différences de types de savoirs et de types de didactiques. pp. 2 – 3 Ce qui suggère que la première transposition didactique s’opère au niveau universitaire, là où les étudiants les plus avancés sont mis au contact de la recherche. Au fur et àmesure que les connaissances nouvelles s’incorporent au noyau de base d’une discipline et deviennent à la fois élémentaires et fondamentales, elles tendent à s’imposer comme matière d’enseignement dans les premiers cycles universitaires, puis au niveau du baccalauréat et, régressivement, dans les degrés antérieurs, parfois jusqu’à l’école primaire. Yves Chevallard n’étudie absolument pas cestranspositions didactiques en cascade, avec leurs conséquences probables : à un certain stade de scolarisation d’une discipline, on ne part
plus vraiment du savoir savant proprement dit, mais de sa transposition didactique préalable dans un degré supérieur. p. 3 Si l’on s’intéresse à des savoirs qui n’ont pas droit de cité dans l’université, sinon comme objet du discours d’autres sciences, ons’éloigne plus encore du modèle dont s’inspire Chevallard. Dans le domaine des arts, de l’artisanat, des métiers, des sports ou des pratiques quotidiennes – cuisine, hygiène, techniques du corps, rites et usages sociaux – la transposition didactique ne s’opère pas à partir d’un savoir savant, mais de savoirs détenus par divers types de praticiens qui ne se soucient pas nécessairement de théoriser…