Un amour de swann, proust

Déjà dans le théâtre antique et jusque dans les comédies sentimentales hollywoodiennes d’aujourd’hui, les contraintes sociales et financières ou encore la jalousie briment l’amour. Sans être comiques en soi (on prend ici comique dans son sens le plus large, regroupant toutes les formes du risible), ces contraintes peuvent donner lieu à des situations comiques, mille fois reprises au théâtre et aucinéma, où différents procédés concourent à leur efficacité. Par ailleurs, l’expression « La comédie de l’amour »1 ne renvoie pas seulement à ces situations, mais introduit un propos relatif à la teneur de l’amour. Autrement dit, elle semble poser la question : « L’amour peut-il (toujours) être pris au sérieux? » Dans cette perspective, le traitement ludique de ce propos aura évidemment un rôle àjouer dans la production de l’effet comique global. Il est intéressant d’observer que ces deux portes d’entrée du comique correspondent à deux niveaux du discours, expression et contenu (voir Fontanille, 1999, p. 4), et que par l’un de ces niveaux le comique se trouve thématisé; il n’est donc pas seulement un effet redevable à différents procédés2.

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2Ce double champ de la comédie lié àl’amour est exploité dans une œuvre dont, traditionnellement, on interroge peu ou pas le caractère comique : Un amour de Swann de Marcel Proust. Il convient de noter qu’il s’agit d’une partie d’À la recherche du temps perdu3 qu’il est possible d’isoler relativement aisément, ce qui n’est peut-être pas étranger au fait que ce texte puisse davantage faire émerger le comique que les autres parties de laRecherche, en raison notamment de la distance entre le temps du Narrateur — également acteur, sauf dans cette partie — et le temps des événements relatés dans Un amour de Swann, la distance ayant souvent un rôle à jouer dans l’introduction du comique dans le discours, et ce, en éloignant l’émotion, ennemie du rire : « Pour qu’il y ait rire, l’insensibilité doit être de la partie », rappelle DeniseJardon (p. 11). Dès lors qu’un « je » se raconte et exprime sa souffrance, la situation narratologique se présente autrement, comme c’est le cas dans la majeure partie de la Recherche, et produit ainsi un effet qui peut rendre le lecteur plus sensible à cette souffrance, bien que le traitement discursif demeure déterminant.

3L’amour de Charles Swann pour Odette de Crécy pourrait être un double —donc, par là, déjà potentiellement risible, un peu à la manière de l’amour des valets chez Marivaux — de l’amour du Narrateur pour Albertine4, en ce sens que les deux sont torturés tout en demeurant différents. Nous serions ainsi face à une mise en abyme, du théâtre dans le théâtre qui dit le vrai propos sur l’amour. Si Un amour de Swann pose la question du sérieux de l’amour, voire de sa valeur,il met de plus en place différents procédés comiques, tels qu’on les trouve dans n’importe quelle œuvre comique. De façon générale, ces procédés confirment la remise en question de l’amour, tant il est vrai que le comique attaque : « Même si [le comique] n’entend pas démolir, et que la plaisanterie soit sans méchanceté, il est forcément contre » (Sareil, 1984, p. 31). En outre, Swann est à cepoint empêtré dans son amour et dans sa jalousie que sa vision des choses en est altérée : le récit, bien que parfois ambigu, le montre généralement assez bien. Cette vision particulière participe aux effets comiques du texte. C’est la raison pour laquelle l’analyse s’attardera entre autres à la narration ou, plus précisément, à la focalisation. Cette vision entraîne Swann à échafauder toutes sortesd’hypothèses au sujet d’Odette et, ainsi, à agir de façon souvent étrange; l’organisation de l’action pourra donc également avoir un rôle à jouer dans l’instauration du comique.

4Auparavant, deux autres aspects retiendront notre attention : la mise en place du récit dans lequel on découvre la vision du grand-père du Narrateur d’un Swann amoureux de même que la galerie des personnages, plus…