Sommaire
I. La perversion du jeu amoureux
1. Un rapport de forces perverti
2. Une structure sadomasochiste
3. Le « scénario pervers »
II. Roman de la passion, roman des pulsions
1. Eros et Thanatos
2. Destruction et autodestruction
3. La violence « fondamentale »
III. Une violence nécessaire
1. Les formes narratives de la violence
2. Les fonctionsnarratives de la violence et la forme narrative de la violence
3. La violence : moteur et force vitale de la relation amoureuse
Annexe
Bibliographie
La violence est inhérente à la vie, elle entre en jeu dans toutes les passions humaines dont fait partie l’amour. Même si la société cherche à la contraindre par des lois, elle trouve toujours le moyen de s’exprimer. L’art et plus précisément lalittérature ont cette fonction cathartique et il n’est pas surprenant que beaucoup de romans d’amour en soient traversés comme c’est le cas pour La femme et le Pantin de Pierre Loüys. En sous-titrant son œuvre « Roman Espagnol », Pierre Louÿs inscrit son livre dans la lignée de Carmen, célèbre cigarière qui chante chez Bizot :
« Si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Et si je t’aime, prend garde àtoi ! »
Cette lutte à mort où, tour à tour, la femme et l’homme sont victimes et bourreaux a été maintes fois racontée par la littérature.
Phèdre subissait cette passion fatale. Sade, l’Abbé Prévost ou encore Casanova ont mis en scène ce théâtre du sang, de la volupté et de la mort. Pierre Louÿs reprend ici un thème largement exploité avant lui, celui de la femme fatale qui anéantit celui qu’elleenvoûte. Il est intéressant de savoir que Buñuel, grand cinéaste baroque, a fait de cette histoire un film comme il avait porté à l’écran Les Hauts de Hurlevent, une autre démonstration de la violence extrême de la passion amoureuse. Mais qu’en est-il de cette violence, de quoi est-elle faite ? Ce sera l’objet de notre propos. La violence est en effet omniprésente dans cette œuvre qui en montre lesravages comme les délices, tout en en analysant la paradoxale nécessité. C’est elle qui se trouve au centre de la relation amoureuse, elle qui semble être le véritable objet de la narration. Elle est caractéristique d’un rapport de forces perverti entre les deux amants qui aboutit rapidement à une relation sadomasochiste. L’entreprise de Pierre Louÿs de dépeindre une passion si destructrice nepourrait se faire sans la peinture des pulsions violentes à la source de toute passion. Les pulsions de vie et de mort, destructrices et créatrices, y tiennent donc tout naturellement une place privilégiée. Enfin, la violence semble revêtir dans cette œuvre de nombreuses fonctions narratives.
I. La perversion du jeu amoureux
Un rapport de forces perverti
La relation qui s’instaure entre Mateoet Concha est placée dès le départ sous le signe de la perversion et de la violence. Elle ne répond pas aux caractéristiques du récit amoureux traditionnel. En effet, leur première rencontre ne remplit en rien les conditions du «coup de foudre» qui marque généralement le début d’une passion. Mateo la décrit à André comme « insignifiante »[1] et ira jusqu’à dire que « Ce n’est pas un début deroman »[2]. Plus frappant encore est le portrait que Mateo fait de Concha. Il la décrit comme « une petite fille »[3], une « enfant »[4] à peine nubile. Le contraste avec la femme fatale annoncée plus tôt par Mateo dans une exclamation d’effroi : « la PIRE des femmes de la terre »[5] est saisissant ! Si l’attirance des deux amants n’est donc pas immédiate, c’est avant tout parce que rien ne supposeentre eux une histoire d’amour. Tout les sépare, à commencer par leur grande différence d’âge qui traduit un décalage de maturité flagrant. Concha est vierge, élève de couvent, et ignore encore tout des choses de l’amour. Mateo est un coureur « surtout connu par l’histoire de sa chambre à coucher, qui passait pour hospitalière »[6]. Leur différence d’extraction sociale est également criante….