Faut-il se méfier des images ?

L’omniprésence des images dans nos sociétés légitime une méfiance envers celles-ci. En effet, on trouvera toujours raisonnable de se méfier d’une chose puissante, de la soumettre au doute et à une analyse. Mais la méfiance envers une chose comme les images suppose que cette chose n’est pas neutre pour celui qui se méfie. Or ce pré-supposé est-il évident ? Les images agissent-elles nécessairementsur un sujet ? par quel mode d’action ? Ne sont-elles pas que l’outil d’une volonté externe, et ne doit-on pas avant tout se méfier de cette volonté ? Aussi, se demander quelle attitude l’on doit avoir à l’égard des images suppose d’analyser leur portée : en quoi peuvent-elle m’être préjudiciables ou favorables ? au regard de quelle valeur ?
Avant de penser l’attitude à adopter face aux images,il convient d’élucider la possibilité d’une telle attitude : en quoi les images ne seraient pas neutres ? (1) Si les images agissent sur nous, faut-il pour autant adopter à une méfiance systématique ? Quels sont les enjeux de notre rapport à l’image et qu’impliquerait le fait de ne pas s’y fier ? (2) Finalement, que nous apprend ce sentiment instinctif de méfiance sur notre rapport à la réalité etne peut-on pas en déduire une attitude prudente mais utile face aux images ? (3)

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Quelle est la neutralité des images ? Sont-elles passives dans leur rapport à la réalité d’une part et au sujet d’autre part ?

Le point commun de toute image est d’être l’image de quelque chose. Toute image dérive d’un objet et c’est pourquoi elle peut lui ressembler sans jamais être l’objet lui-même.C’est en ce sens que Magritte peint son tableau «ceci n’est pas une pipe». Toute image est séparée de la réalité par au moins un degré. Dans l’allégorie de la caverne, les esclaves perçoivent les ombres formées par des figurines éclairées, autrement dit, ils sont séparés de deux degrés de la réalité puisqu’ils ne voient que des images d’images. Cette distanciation explique la méfiance de Platon àl’égard des images qui sont le plus bas degré du réel dans sa métaphore de la ligne. En tant qu’objets sensibles, elles sont soumises aux variations du réel et sont impropres à représenter fidèlement la vérité intelligible. L’image déforme le réel et ainsi offre à son spectateur une représentation biaisée. On retrouve cette idée dans l’étymologie du mot : «imago» est pour les latins un masque.L’image est donc propice à induire en erreur si elle n’est pas prise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une représentation imparfaite de la réalité. C’est pourquoi, dans les Fondements pour la métaphysique des moeurs, Kant infirme la possibilité d’une morale fondée sur des exemples (comme c’est la cas avec la morale chrétienne) qui ne montrent que l’image du devoir et non le devoir lui-même. Lareprésentation imagée d’une idée peut en effet trahir celle-ci, et selon Kant le devoir trouve un fondement a priori, c’est-à-dire hors des schèmes et des images.

Si l’image n’est pas neutre au regard de la vérité, qu’en est-il dans son rapport au sujet ? On peut d’abord considérer l’image comme un outil pour l’homme, un langage universel. Cette vision serve de l’image correspond à un simplesignifiant ou symbole. Comme telle, son utilité paraît si universelle que ce sont des images qui composent le message Arecibo destiné à d’éventuelles formes de vie extra-terrestres. Cet exemple insolite nous apprend comment l’homme perçoit naturellement l’image comme un symbole dont chacun serait maître. Or, penser ainsi l’image, c’est certainement sous-estimer son effet sur le sujet. Un symbole doit êtreélémentaire et renvoyer à une idée précise s’adressant à la raison. L’image, contraire, est souvent plus complexe et peut toucher les passions du sujet. L’image poétique peut ainsi susciter l’émerveillement et l’image tragique le dégoût ou «catharsis» selon Aristote. Il semble donc difficile de rester impassible devant toute image brute. L’image n’est pas neutre sur nous.

L’image n’est…