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Fred Vargas
Debout les morts
Édition Viviane Hamy, 1995
Ce texte est la première page du roman.
Un arbre dans le jardin
– Pierre, il y a quelque chose qui déraille dans le jardin, dit Sophia.
Elle ouvrit la fenêtre et examina ce bout de terrain qu’elle connaissait
Herbe par herbe. Ce qu’elle voyait lui faisait froid dans le dos.
Pierre lisait le journal au petit déjeuner. C’étaitpeut-être pour ça que
Sophia regardait si souvent par la fenêtre. Voir le temps qu’il faisait. C’est
quelque chose qu’on fait assez souvent quand on se lève. Et chaque fois
qu’il faisait moche, elle pensait à la Grèce, bien entendu. Ces contemplations
immobiles s’emplissaient à la longue de nostalgies qui se dilataient
certains matins jusqu’au ressentiment1. Ensuite, ça passait. Mais ce
matin, lejardin déraillait.
– Pierre, il y a un arbre dans le jardin.
Elle s’assit à côté de lui.
– Pierre, regarde-moi.
Pierre leva un visage lassé vers sa femme. Sophia ajusta son foulard
autour de son cou, une discipline conservée du temps où elle était cantatrice.
Garder la voix au chaud. Vingt ans plus tôt, sur un gradin de pierre
du théâtre d’Orange, Pierre avait édifié une montagne compacte deserments
d’amour et de certitudes. Juste avant une représentation.
Sophia retint dans une main ce morne2 visage de lecteur de journal.
– Qu’est-ce qui te prend, Sophia ?
– J’ai dit quelque chose.
– Oui ?
– J’ai dit : « Il y a un arbre dans le jardin. »
– J’ai entendu. Ça paraît normal, non ?
– Il y a un arbre dans le jardin, mais il n’y était pas hier.
– Et après ? Qu’est-ce que tu veuxque ça me fasse ?
Sophia n’était pas calme. Elle ne savait pas si c’était le coup du journal,
ou le coup du regard lassé, ou le coup de l’arbre, mais il était clair que
quelque chose n’allait pas.
– Pierre, explique-moi comment fait un arbre pour arriver tout seul
dans un jardin.
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© H A T I E R
Pierre haussa les épaules. Ça lui était complètement égal.
– Quelleimportance ? Les arbres se reproduisent. Une graine, une
pousse, un surgeon3 et l’affaire est faite. Ensuite, ça fait des grosses forêts,
sous nos climats. Je suppose que tu es au courant.
– Ce n’est pas une pousse. C’est un arbre ! Un arbre jeune, bien droit,
avec les branches et tout le nécessaire, planté tout seul à un mètre du mur
du fond. Alors ?
1. Ressentiment : colère contenue.
2. Morne :inexpressif.
3. Surgeon : pousse aérienne, née sur une racine, et qui produit d’autres racines.
_ Questions (15 points)
I . L E S D E U X P E R S O N N A G E S 3 P O I N T S
m 1. Quel lien familial unit les deux personnages ?
Justifiez votre réponse en citant le texte. (0,5 point)
m 2. Qu’apprend-on sur le passé de Sophia ? (0,5 point)
m 3. « Pierre avait édifié une montagne compacte deserments d’amour et
de certitudes » (lignes 17-18).
a) Nommez l’image. (0,5 point)
b) À quel moment de leur relation cette image renvoie-t-elle ?
Citez une expression du texte à l’appui de votre réponse. (0,5 point)
c) Quelle vision cette image donne-t-elle de l’amour de Pierre ? (1 point)
I I . U N E C O M M U N I C A T I O N D I F F I C I L E 6 , 5 P O I N T S
m 4. a) Des lignes 4 à 10, quelest le temps verbal qui domine ? Quelle est
sa valeur ? (0,5 point)
b) Que révèle-t-elle de la relation entre les deux personnages ? (1 point)
m 5. a) Des lignes 4 à 19, à quoi Sophia s’occupe-t-elle ? (0,5 point)
b) Pourquoi agit-elle ainsi ? (1 point)
m 6. a) Par quel type de phrases Pierre s’adresse-t-il le plus souvent à Sophia ?
(0,5 point)
b) Pour quelle raison selon vous ? (1 point)c) Quel est selon vous l’intérêt du discours direct ?
Donnez au moins deux éléments de réponse. (1 point)
m 7. Quels sentiments Pierre éprouve-t-il ? Vous en indiquerez deux que
vous illustrerez par deux citations du texte. (1 point)
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© H A T I E R

I I I . U N E D É C O U V E R T E I N S O L I T E 5 , 5 P O I N T S
« il y a quelque chose qui déraille dans le jardin » (ligne 1).
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