Guerre, femmes et nation en France (1939-1945)
Luc Capdevila (CRHISCO – Université de Rennes2) et Fabrice Virgili (IHTP – CNRS)
Depuis l’appel à l’arrêt des hostilités prononcé par le maréchal Pétain le 17 juin 1940 et le soulagement manifestée par une grande partie de la population un premier clivage est apparu. Dans la situation de désarroi et d’acceptation de la défaite certains ontrefusé l’armistice et sont restés de facto mobilisés contre l’ennemi. Cet antagonisme a produit deux discours antithétiques sur la nation. Vichy propose alors une reconstruction nationale à l’écart de la guerre et sous domination allemande. En face, dans le camp de la France combattante, la renaissance française ne peut être que le prolongement du combat pour la libération nationale. En réservant unelarge place au genre, les deux discours en firent un élément structurant de la nation. Du côté de Vichy, comme de la Résistance, les discours reproduisent l’imaginaire social dominant de la mère au foyer. Au delà, la réalité fut plus complexe. Pour les hommes, les effets de la défaite puis de l’occupation se traduisent concrètement par l’importance des départ vers l’Allemagne comme prisonniers deguerre, requis au titre du service du travail obligatoire et déportés. Pour les femmes, la situation mèle l’absence d’un mari ou d’un père et un quotidien de pénurie. La délimitation entre front et arrière se trouve alors passablement brouillée et le vécu de nombreuse femmes s’est trouvé en porte-à-faux avec les stéréotypes de la ménagère. Par ailleurs, dans le cadre de la mobilisation organiséepar la France combattante, les appels adressés aux Françaises de tous âges coexistent avec une vision traditionnelle du féminin. Loin de s’opposer, les images de la combattante et de la mère au foyer révèlent un enchevêtrement des systèmes de représentations qui témoigne de la dynamique des imaginaires en temps de guerre.
1/ Penser la défaite et l’invasion
Le choc de la défaite a constituéaux yeux des contemporains une rupture irrémédiable avec le passé. Les discours produits alors sur le devenir de la France avaient en commun le thème de la nécessaire reconstruction, que celle-ci se fasse sous la férule de l’Allemagne nazie ou s’enracine au contraire dans le combat contre sa domination. Le discours de la régénérescence ne s’est pas limité au seul politique, la mobilisation àlaquelle ont appelé la Révolution nationale comme la France combattante participe à un discours sur le masculin comme le féminin.
Cette réflexion s’inscrit à la fois dans le contexte du bouleversement majeur de l’année 1940 et dans l’évolution à plus long terme des relations entre les sexes. On peut relever au cours des premières décennies du vingtième siècle, une importante mobilisation des femmeslors de la Grande Guerre, la violence des polémiques autour du roman La Garçonne, le vote de la loi du 18 février 1938 qui a mis fin à l’incapacité civile de la femme mariée mais également le refus répété d’accorder le droit de vote aux femmes. Si aujourd’hui le regard porté sur l’ensemble de cette période par les historiens insiste plus sur le maintien des assignations traditionnelles des sexes[1]il n’en demeure pas moins que la question a été soulevée de manière récurrente au cours de la période remettant en cause l’immuabilité des rapports entre les sexes.
Si ces changements sont perceptibles du point de vue du féminin ils le sont également du côté du masculin. Le “triomphe de la division sexuelle” pour reprendre l’expression de Françoise Thébaud à propos du premier conflit mondial,c’est-à-dire la répartition entre un front masculin et un arrière féminin n’a pas empêché une rupture profonde entre l’homme-guerrier de 1914, progressivement transformé au cours des quatre années de guerre en homme broyé par les horreurs du champ de bataille. Tout en ayant rempli leur rôle de défenseur de la patrie et du foyer, l’image des anciens combattants de la “der des ders”, des “gueules…