Sujet de bac blanc sur l’autobiographie

Documents

A – Primo Levi, Si c’est un Homme, 1947
B – Jorge Semprun, l’Ecriture ou la Vie, 1994
C – Jorge Semprun, l’Ecriture ou la Vie, 1994
D – Primo Levi, Si c’est un Homme, 1947

Ecriture
– En quoi diffèrent les intentions de Primo Levi et de Jorge Semprun ? Vous appuierez votre réponse sur des exemples précis tirés des documents du corpus.(6 points)

Commentaire
– Vous montrerez en quoi le document C, extrait de l’Ecriture ou la Vie est caractéristique d’une autobiographie et en quoi il s’en écarte. (14 points)

Document A

J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944, alors que le gouvernement allemand, en raison de la pénurie croissante de main-d’oeuvre, avait déjà décidéd’allonger la moyenne de vie des prisonniers à éliminer, améliorant sensiblement leurs conditions de vie et suspendant provisoirement les exécutions arbitraires individuelles.
Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n’ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l’inquiétante question des camps d’extermination. Je ne l’ai pas écrit dans le but d’avancerde nouveaux chefs d’accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l’âme humaine. Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que l’étranger, c’est l’ennemi. Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente; elle ne se manifeste que par des actesisolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager1; c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse; tant que la conception a cours, les conséquences nousmenacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme.
Je suis conscient des défauts de structure de ce livre, et j’en demande pardon au lecteur. En fait, celui-ci était déjà écrit, sinon en acte, du moins en intention et en pensée dès l’époque du Lager. Le besoin de raconter aux «autres », de faire participer les « autres», avaitacquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires; c’est pour répondre à un tel besoin que j’ai écrit mon livre; c’est avant tout en vue d’une libération intérieure. De là son caractère fragmentaire : les chapitres en ont été rédigés non pas selon un déroulement logique, mais par ordre d’urgence. Le travailde liaison, de fusion, selon un plan déterminé, n’est intervenu qu’après.
Il me semble inutile d’ajouter qu’aucun des faits n’y est inventé.
Turin, janvier 1947
Primo Levi, Si c’est un homme, Préface

1- Lager : camp

Document B

Il y aura des survivants, certes. Moi, par exemple. Me voici survivant de service, opportunément apparudevant ces trois officiers d’une mission alliée pour leur raconter la fumée du crématoire, l’odeur de chair brûlée sur l’Ettersberg, les appels sous la neige, les corvées meurtrières, l’épuisement de la vie, l’espoir inépuisable, la sauvagerie de l’animal humain, la grandeur de l’homme, la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains.
Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?Le doute me vient dès ce premier instant.
Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L’histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d’un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d’une documentation digne de foi, vérifiée. C’est encore au présent, la mort. Ça se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines,…