Les journées perdues

Dino BUZZATI « Les journées perdues »

Introduction
-Apologue fantastique reposant sur trois fragments de vie de Kazirra. Récit court impliquant deux personnages : un riche propriétaire et un manutentionnaire.
-Comment l’auteur, à partir d’une scène surnaturelle entre deux personnages de conditions sociales différentes, conduit le lecteur à s’interroger sur ses valeurs humaines et sur unemorale humaniste ?

Une scène énigmatique

-Le récit débute dans un monde ordinaire puis bascule dans le fantastique avec « était plein de milliers et de milliers d’autres caisses identiques ». Il s’inscrit dans un registre fantastique jusqu’à la disparition du « gigantesque amas de caisses mystérieuses ». « Mystérieux » appartient au champ lexical du fantastique. Plusieurs indices du surnatureljalonnent cet apologue.
-Les caisses représentent les journées gaspillées. L’auteur insiste sur ces journées perdues arrivées inéluctablement : « elles sont venues » (l.15-16). Si l’individu ne peut intervenir sur leur venue, il peut, en revanche, agir sur leur contenu et donc sur les caisses. Or Kazirra n’en a rien fait : « tu attendais, n’est-ce pas ? ». Il ne les a pas utilisées. Les boitessont encore pleines, intactes. Elles matérialisent des journées qui sont impalpables. Ces journées défilent dans les caisses (« …et au fond, sa fiancée, qui s’en allait pour toujours »).
-L’auteur fait une véritable mise en scène avec un jeu d’oppositions permanentes. Ainsi, s’opposent la somptueuse villa avec son mur d’enceinte, son parc et l’extrême périphérie de la ville et le profond vallondevenu décharge publique des caisses. De même, contrastent la prise de possession de la somptueuse villa et la grille de la vieille maison misérable.
-L’énigme repose également sur les deux personnages en action qui prennent la parole. Le manutentionnaire qui est chargé de faire les travaux pénibles de déplacement d’objets à une situation sociale inférieure à Kazirra et cependant sa position moraleest supérieure. Il va devenir l’accusateur et Kazirra le coupable. L’accusation est marquée par une succession de questions-réponses « tu attendais, n’est-ce pas ? Elles sont venues», « Qu’en as-tu fait ? Regarde-les».
-Alors que pour le manutentionnaire, il est évident que les caisses contiennent le déroulement de journées gaspillées, Kazirra est, au contraire, étonné, surpris, incrédule etsoucieux. Il ignore ce que sont ces caisses.
-L’auteur entretient l’aspect énigmatique au travers du discours direct qui s’établit entre les deux hommes et qui met en relief l’incrédulité et l’inquiétude de Kazirra. Le discours direct est un procédé d’animation du texte qui maintient l’intérêt du lecteur. Les deux personnages se tutoient et on peut supposer qu’ils se connaissent bien. Il est doncsurprenant que Kazirra ignore ce que sont ces caisses.
Trois fragments de vie à destination du lecteur (lignes 17 à 24)

-Le manutentionnaire s’efface du récit et laisse seul Kazirra. Il ouvre trois caisses et en regarde le contenu. Kazirra a eu ces trois boites ouvertes, un jour devant lui, mais il les a ignorées ou les a fait passer au second plan.
* « Et il ne la rappelait même pas » en cequi concerne sa fiancée délaissée
* « Mais lui était en voyage d’affaires » en ce qui concerne son frère hospitalisé
* « Et il ne songeait pas à revenir » en ce qui concerne son chien abandonné mourant de faim
Kazirra a privilégié son travail au détriment de son frère. Ce passage narratif souligne la responsabilité morale de Kazirra dans trois mauvaises actions. Il a fait de mauvais choix.Les prénoms Graziella, Josué et Duk accentuent la conduite immorale de Kazirra.
-La théâtralisation de la scène est soulignée par le récit narratif avec un point de vue omniscient « Et il ne songeait pas à revenir » à l’imparfait et au passé-simple. La dramatisation (drama=action) est indissociable de cette théâtralisation.
-L’auteur sollicite les émotions du lecteur en jouant sur le registre…