Père goriot

Corpus de poésie.

texte 1 : « Demain, dès l’aube… »

3 septembre 1847

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, ledos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, « Pauca meae » Les Contemplations, 1856-

texte 2 : Ma bohème1 (Fantaisie)

Je m’en allais, les poingsdans mes poches crevées ;
Mon paletot2 aussi devenait idéal3 ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal4 ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord desroutes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Rimbaud, Poésies, 1871

texte 3 « L’invitation au voyage »

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Auxvagues senteurs de l’ambre5,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchantsRevêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe 6et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Baudelaire, « Spleen et Idéal »Les Fleurs du Mal, 1857

1 Le manuscrit de Rimbaud présente, semble-t-il, un accent circonflexe. La Bohême (avec accent circonflexe) est une région d’Europe centrale (actuelleTchéquie). On appelait « bohémiens » les nomades tziganes que l’on croyait originaires de ce pays. Par analogie, le terme de « Bohème » (avec accent grave) s’est employé au XIX° siècle pour désigner la vie au jour le jour, insouciante et souvent misérable, du milieu des artistes.
2 Petite veste en laine
3 Il ne reste plus que l’idée de paletot
4 Serviteur
5Substance parfumée formée dans lesintestins du cachalot.
6 Pierre fine transparente de couleur jaune, orangée ou rouge

Ce poème se trouve aussi dans le manuel Soleil d’Encre p. 330-331. Les notes reprennent celles du manuel.

Texte 4 : « prose du transsibérien »

Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour
On était en décembre
Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine7
Nousavions deux coupés8 dans l’express et 34 coffres de joailleries de Pforzheim9
De la camelote allemande « Made in Germany »
Il m’avait habillé de neuf et en montant dans le train j’avais perdu un bouton
– Je m’en souviens, je m’en souviens, j’y ai souvent pensé depuis –
Je couchais sur les coffres et j’étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning10 nickelé qu’il m’avait aussi donné…