Théorie politique (l1)-le multiculturalisme

CHAPITRE III : Multiculturalisme et identité face à la démocratie libérale.

Sous un habillage conceptuel nouveau, des théories a priori démocratiques voient le jour pour répondre aux interrogations multiples qui surgissent dans les sociétés industrialisées, marquées, entre autres particularités, par le caractère massif et diversifié des flux migratoires qui ont contribué et contribuentencore à leur développement socio-économique. Dans nombre d’Etats modernes, dont certains intègrent aujourd’hui un pourcentage très significatif de populations provenant d’horizons variés (tels que par exemple la Canada, les États Unis, l’Australie, etc.), la conflictualité potentielle liée aux différences ethniques, culturelles et religieuses entre communautés amenées à cohabiter ne saurait êtreignorée ou éludée. Au contraire, le défi consiste, pour ces sociétés, à intégrer harmonieusement ces différences de manière à promouvoir l’émergence d’un sentiment d’appartenance, d’un “ nous ” politique permettant que les grands principes de tolérance, de solidarité et de civisme puissent être véritablement mis en œuvre.

Dans ce chapitre, nous nous attacherons à montrer comment, face àla réalité des sociétés démocratiques modernes, des auteurs libéraux, tout en appartenant à des familles distinctes, voire opposées entre elles, restent majoritairement fidèles à une conception politique individualiste[1], au nom de la liberté. Rappelons ici la polysémie du terme libéral, qui fait l’objet d’acceptions très différentes, voire contradictoires. Les trois sens qui nous semblent êtreles plus couramment prêtés à ce terme : la première acception renvoie à un libéralisme politique attaché aux libertés individuelles et au respect de la différence ; la seconde fait référence à une attitude individuelle de tolérance ; la troisième quant à elle se réfère à une politique libérale conservatrice fondée sur la logique du marché. Notons que tous les libéraux proches de l’une ou plusieursde ces trois mouvances se démarquent de manière unanime des ultra-libéraux, qui constituent une famille à part. Les auteurs anglo-saxons que nous traiterons dans ce chapitre sont, pour la plupart, proches de la social-démocratie nord-américaine, et se rapprochent des deux premières mouvances évoquées ci-dessus, allant jusqu’à attaquer de façon virulente les défenseurs de la troisième.Néanmoins, quelle que soit la mouvance à laquelle ils appartiennent, la conception politique individualiste que partagent tous les auteurs libéraux, comme nous le verrons au fil de ce chapitre, s’avère incapable d’intégrer politiquement “ tous ” les étrangers et encore moins de réduire la conflictualité sociale générée par des rapports sociaux inégaux auxquels vient se superposer la varianteculturelle[2]. Sous cette perspective, nous montrerons également comment, dans la démarche de ces auteurs, la référence à la culture repose essentiellement “ sur la transmission, la reproduction, la permanence, la continuité et la pesanteur ”[3]. C’est ce qui explique que, pour eux, les revendications multiculturalistes représentent un sérieux danger pour les États d’accueil, alors que d’autres, en larelativisant exagérément, rendent tout aussi difficile l’émergence d’un projet politique commun.

À en croire le sociologue Michel Wieviorka, dans la construction politique ou juridique des états démocratiques modernes, les analyses sur la différence restent fortement influencées par le discours universaliste des Lumières, selon lesquelles dans leur évolution historique les sociétés humainessauraient liquider les particularismes culturels, “ perçus comme autant de traditions résistant à la raison, au droit, à l’individualisme ou à la modernisation économique ”[4]. L’indéniable dimension universaliste de la pensée des Lumières était à cet égard en parfaite cohérence avec leur but politique ou leur projet intellectuel, tentant d’inscrire “ l’unité de l’homme, (…) l’unification du…