Aragon les yeux d’elsa

J’arrivai. L’aspect champêtre de cette maison, les croisées et leurs jalousies vertes, les trois marches de grès, les lierres, les clématites et les roses-thé qui s’enchevêtraient sur les murs jusqu’au toit, d’où s’échappait, d’un tuyau à girouette, un petit nuage de fumée, m’inspirèrent des idées de recueillement, de santé et de paix profonde. Les arbres d’un verger voisin montraient, à traversun treillis d’enclos, leurs feuilles rouillées par l’énervante saison. Les deux fenêtres de l’unique étage brillaient des feux. Je mis pied à terre, silencieusement: j’attachai le cheval au volet et je levai le marteau de la porte, en jetant un coup d’œil de voyageur à l’horizon, derrière moi. Mais l’horizon brillait tellement sur les forêts de chênes lointains et de pins sauvages où les derniersoiseaux s’envolaient dans le soir, les eaux d’un étang couvert de roseaux, dans l’éloignement, réfléchissaient si solennellement le ciel, la nature était si belle, au milieu de ces airs calmés, dans cette campagne déserte, à ce moment où tombe le silence, que je restai – sans quitter le marteau suspendu, – que je restai muet.
Mais, à peine eus-je de nouveau jeté sur la maison un regarddistrait, que je fus forcé de m’arrêter encore, me demandant, cette fois, si je n’étais pas le jouet d’une hallucination. Etait-ce bien la maison que j’avais vue tout à l’heure? Quelle ancienneté me dénonçaient, maintenant, les longues lézardes, entre les feuilles pâles? – Cette bâtisse avait un air étranger; les carreaux illuminés par les rayons d’agonie du soir brûlaient d’une lueur intense; leportail hospitalier m’invitait avec ses trois marches; mais, en concentrant mon attention sur ces dalles grises, je vis qu’elles venaient d’être polies, que des traces de lettres creusées y restaient encore, et je vis bien qu’elles provenaient du cimetière voisin, – dont les croix noires m’apparaissaient, à présent, de côté, à une centaine de pas. Et la maison me sembla changée à donner le frisson, etles échos du lugubre coup du marteau, que je laissai retomber, dans mon saisissement, retentirent, dans l’intérieur de cette demeure, comme les vibrations d’un glas.
Je poussai le loquet sans attendre davantage. – J’entrai. La porte, mue par un poids d’horloge, se referma d’elle-même, derrière moi. Je me trouvai dans un long corridor. Une minute après, je serrai dans mes bras mon vieil ami.Ce prêtre était un homme de quarante-cinq ans, à peu près, et d’une haute taille. De longs cheveux gris entouraient de leur boucle enroulée sa maigre et forte figure. Les yeux brillaient de l’intelligence mystique. Ses traits étaient réguliers et austères.
Un long couloir, parallèle à celui d’en bas, séparait de celle de mon hôte la chambre qui m’était destinée: – il insista pour m’y installerlui-même. Nous y entrâmes; il regarda s’il ne me manquait rien et comme, rapprochés, nous nous donnions la main et le bonsoir, un vivace reflet de ma bougie tomba sur son visage. – Je tressaillis, cette fois! Etait-ce un agonisant qui se tenait debout, là, près de ce lit? La tête que je contemplais était grave, très pâle, d’une pâleur de mort, et les paupières étaient baissées. Sa personnes’était revêtue d’une solennité si soudaine que je fermai les yeux. Quand je les rouvris, après une seconde, le bon abbé était toujours là, – mais je le reconnaissais maintenant !
Je m’attendais à dormir vite et profondément. J’entendais des tics-tacs, des craquements brefs du bois et des murs. Chacun des bruits imperceptibles de la nuit se répandait, en tout mon être, par un coup électrique. Lesbranches noires se heurtaient dans le vent, au jardin. Le sommeil s’approchait: la fièvre s’apaisait. J’allais m’endormir. Trois petits coups secs, impératifs, furent frappés à ma porte.
– Hein? me dis-je, en sursaut.
En un clin d’œil, je fus au milieu de la chambre. Ma première impression, en même temps que celle du froid aux pieds, fut celle d’une vive lumière. La pleine lune…