Yvain ou le chevalier au lion, chrétien de troyes, 1180

Yvain ou le chevalier au lion
Chrétien de Troyes, 1180
De « Et tu me redevroies dire… » à « …les arbres qui se brisaient. »

Présentation de Chrétien de Troyes
Nous connaissons très peu de choses de la vie de Chrétien de Troyes, écrivain du Moyen Âge né vers 1135. Il entre dans la vie littéraire en traduisant le poète latin Ovide. Le romancier jouera un grand rôle dans la diffusion del’esprit courtois attaché à la cour de Marie de Champagne, qui lui commanda plusieurs œuvres, notamment le chevalier à la charrette. Il mettra en scène les chevaliers de la table ronde à travers plusieurs romans dont Perceval ou le conte du Graal qu’il laisse inachevé à sa mort vers 1185.

Introduction

Yvain ou le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, est un récit fantastique.Devant la cour du Roi Arthur, le chevalier Calogrenant raconte son échec dans une aventure merveilleuse. Yvain va alors décider de tenter cette quête à sa suite.
Cet extrait raconte l’histoire d’Yvain engagé dans la forêt de Brocéliande dans laquelle il rencontre un vilain (un paysan du Moyen Âge) avec lequel il engage un dialogue.

Problématique :
En quoi cet extrait de Yvain ou lechevalier au lion de Chrétien de Troyes symbolise le passage du réel au merveilleux dans la quête du chevalier à travers la découverte de la forêt de Brocéliande ?

Lecture

« Et tu me redevroies dire
Quies hom tu es, et que tu quiers
– Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis ;
Assez ai quis, et rien ne truis.
« – Mais toi à ton tour, dis moi donc quelle espèce d’hommetu es et ce que tu cherches.
– Je suis, comme tu vois, un chevalier qui cherche sans pouvoir trouver ; ma quête a été longue et elle est restée vaine.
– Et que voudrais-tu trouver ?
– L’aventure, pour éprouver ma vaillance et mon courage. Je te demande donc et te prie instamment de m’indiquer, si tu en connais, quelque aventure et quelque prodige.
– Pour cela, dit-il, il faudra t’en passer: je ne connais rien en fait d’aventure et jamais je n’en n’ai entendu parler. Mais si tu voulais aller près d’ici jusqu’à une fontaine, tu n’en reviendrais pas sans peine, à moins de lui rendre son dû. A deux pas tu trouveras tout de suite un sentier qui t’y mènera. Va tout droit devant toi, si tu ne veux pas gaspiller tes pas car tu pourrais vite t’égarer : il ne manque pas d’autres chemins. Tuverras la fontaine qui bouillonne, bien qu’elle soit plus froide que le marbre, et l’ombrage du plus bel arbre que Nature ait pu créer. En tout temps persiste son feuillage car nul hiver ne l’en peut priver. Il y pend un bassin de fer, au bout d’une chaîne si longue qu’elle descend jusque dans la fontaine. Près de la fontaine tu trouveras un bloc de pierre, de quel aspect tu le verras ; je nesaurais te le décrire, car jamais je n’en vis de tel ; et, de l’autre côté, une chapelle, petite mais très belle. Si avec le bassin tu veux prendre de l’eau et la répandre sur la pierre, alors tu verras une telle tempête que dans ce bois ne restera nulle bête, chevreuil ni cerf, ni daim ni sanglier, même les oiseaux s’en échapperont ; car tu verras tomber la foudre, les arbres se briser, la pluies’abattre, mêlée de tonnerre et d’éclairs, avec une telle violence que, si tu peux y échapper sans grands dommage ni peine, tu auras meilleures chance que nul chevalier qui y soit jamais allé. »
Je quittai le vilain dès qu’il m’eut indiqué le chemin. Peut-être était-il tierce passée et l’on pouvait approcher de midi lorsque j’aperçus l’arbre et la fontaine. Je sais bien, quant à l’arbre, que c’était leplus beau pin qui jamais eût grandi sur terre. À mon avis, jamais il n’eût plu assez fort pour qu’une seule goutte d’eau le traversât, mais dessus glissait la pluie tout entière. À l’arbre je vis pendre le bassin, il était de l’or le plus fin qui ait encore jamais été à vendre en nulle foire. Quant à la fontaine, vous pouvez m’en croire, elle bouillonnait comme de l’eau chaude. La pierre…